
Si la plupart des commentateurs considèrent la candidate investie par le congrès LR comme la principale menace d’Emmanuel Macron, l’affaiblissement de son parti pourrait lui rendre la tâche bien plus difficile qu’on ne le dit.
Pourquoi Macron va gagner le match de l’élection présidentielle, sauf si…
Le vote de ce samedi 4 décembre est sans appel : Valérie Pécresse l’emporte à 61% contre 39% pour Éric Ciotti. Face à des candidats sans charisme (Xavier Bertrand), sans chaleur (Michel Barnier) ou sans crédit (Éric Ciotti), Valérie Pécresse (sans modestie) a donc fait la partie la plus facile du chemin : elle va dorénavant subir les affres du supplice, non de la poutre qui bouge, mais celui de la tenaille qui se referme inexorablement.
Si l’arrivée d’Éric Zemmour — souverainiste, colbertiste et néolibéral — a failli perturber le Congrès des LR, ces derniers lui ont très vite scotché dans le dos l’étiquette infamante de « polémiste d’extrême droite ». Et par contraste, Marine Le Pen apparut soudainement en vierge tranquille, respectable et démocrate, mais sans grand avenir politique.
Alors pour la première fois depuis longtemps, la droite — grâce à la performance d’Éric Ciotti — s’est enhardie ; elle s’autorisa même quelques transgressions politiques : droit du sang, immigration zéro, bannissement du voile, flat tax, préférence nationale, armée en appui de la police, réforme de l’Europe… Bref, elle mania avec suffisance les vilains mots qu’elle snobait les mois précédents. Seul Éric Ciotti eut l’intelligence de ne pas insulter l’avenir zemmourien.
Sauf que le résultat final du 4 décembre fut sans ambiguïté : l’élection de Valérie Pécresse a marqué les limites de cette transgression. En résumé, ce sera « un peu de transgression, mais pas trop, n’est-ce pas cher Éric ! ». C’est pourquoi la droite républicaine va rester coincée dans son superbe isolement idéologique, car elle ne veut apparaître ni conservatrice (en France, ce terme fait ringard, catho et un peu facho), ni s’affirmer jacobine (être centraliste au pays de la fausse décentralisation serait redondant) et a fortiori, surtout ne pas devenir souverainiste (le terme est connoté d’anti-européanisme primaire).
Alors, dans les prochains mois, la droite républicaine nous parlera de fidélité aux valeurs de la république, de restauration de l’autorité de l’État, de reconquête de la France légitime, le tout pimenté de mots jokers tels que « régalien », « dettes », « réformes », « français », « dialogue », « Europe », « protéger », « industrie », « fierté », « solutions », etc. Quelques expressions à peine argotiques essaieront vainement de faire oublier l’énarchie sous-jacente : « cramer la caisse », la « femme qui fait », « la femme qui gagne », « la droite assumée », « pas de godille », « fini l’amateurisme ». Et Valérie Pécresse, pour affirmer son rôle de cheffe de la droite, qualifiera son programme de « puissant », une ridicule allusion à une nouvelle hormone politique androgène surdopée à la testostérone. La femme virile en quelque sorte : un oxymore qui parlerait — pense-t-elle — aux femmes.
De sa droite, arriveront les attaques du trio infréquentable, le « mal populiste », Le Pen-Zemmour-Dupont-Aignant, dont le slogan la désignera comme « la droite qui a trahi le peuple et le trahira encore ». Ce trio va contraindre Valérie Pécresse, 100% européiste, progressiste et libérale, à plutôt tenter sa chance ailleurs par peur de se montrer trop radicale aux yeux des électeurs du centre. Mais en coupant les têtes qui lorgneraient trop à droite, Valérie Pécresse va se suicider sur l’autel des valeurs… de la droite. Valérie Pécresse, au-delà des formules politiciennes, restera tétanisée à l’idée de transgresser le grand tabou, même si nous pouvons parier sans grand risque, que la majorité des électeurs de la vraie droite — soit 1 électeur français sur 3 — a depuis longtemps jeté le grand tabou par-dessus bord.
La seule difficulté pour cette frange de l’électorat reste l’incarnation de la belle – mais fausse — union des droites de jadis. Marine Le Pen fait toc et il n’y a toujours pas de surdoué à l’horizon. Sauf Éric Zemmour, mais il est déjà tellement scarifié… ! Bêtement, Valérie Pécresse — confite à l’idée d’une transgression du progressisme — va s’interdire toute déviance sur sa droite, sinon la sanction serait immédiate : « ne touche pas à mon extrême droite ! » diraient alors les progressistes de tous bords dont les feux de l’enfer ne sont jamais bien loin des plateaux télé ; ils veilleront jalousement sur le sacrosaint tabou de « l’incarnation des colères » personnifiée ; et sur celle qui reste la meilleure assurance-vie politique du système.
Et, appliquant la célèbre « stratégie des alliés » — convaincre les indécis sans se préoccuper des opposants —, Valérie Pécresse se condamne donc à chasser au centre droit, sur la terre des petits marquis et comtesses de cour dominés de la tête aux pieds par le baron noir, Nicolas Sarkozy, l’homme qui oublia de brancher son karcher. Une partie a déjà migré vers les progressistes, Estrosi et Muselier en tête. Et soyons certains qu’au premier combat perdu ou à la nouvelle affaire Fillon, ce sera un autre Waterloo : Xavier Bertrand et Michel Barnier rejoindront alors avec morgue les Darmanin, Le Maire ou Riester.
De sa gauche, viendront les coups bas d’un autre trio, celui du « bien progressiste », Macron-Bayrou-Philippe, dont le slogan est déjà connu : « au pays des gens raisonnables, on ne s’interdit rien ! ». Pour aller chercher les électeurs de la droite molle et républicaine, les progressistes vont pouvoir s’approprier sans vergogne les thèmes régaliens que défendait le républicain Éric Ciotti : immigration, sécurité, identité. Curieux renversement de situation : les gentils progressistes parleront ouvertement de ce que la vilaine droite murmure à voix basse. Le tout sera enveloppé dans les deux camps, d’une novlangue raisonnable et politiquement correcte, tout en espérant ainsi ringardiser le langage zemmourien. En d’autres termes, les progressistes macroniens ne feront rien de plus que ce qu’ils ont toujours fait : parler pour occuper le terrain médiatique, quitte à se contredire l’instant d’après. Tout comme la droite Pécresse qui vient de la même veine.
Valérie Pécresse va cheminer sur une route encombrée. Il reste cependant pour la droite, trois hypothèses avant que le match présidentiel ne soit définitivement plié : – Soit Valérie Pécresse s’envole (un peu) face à Éric Zemmour, mais pas suffisamment pour battre Marine Le Pen dont l’avance personnelle dans les classes populaires semble déjà trop grande. Valérie Pécresse, alors battue dès le 1er tour, appellera sans hésitation à voter Macron pour le second tour en espérant un poste de Premier ministre. C’est l’hypothèse la plus plausible à ce jour.
Soit Valérie Pécresse ne transforme pas l’essai tenté lors du Congrès LR ; alors Éric Zemmour peut encore battre Marine Le Pen sur le terrain de la « maestria intellectuelle » et arriver au second tour. Mais pour gagner l’élection présidentielle, il devra s’allier avec Valérie Pécresse, car le report des voix de Marine Le Pen ne suffira pas. L’hypothèse semble improbable.
Enfin, si par un coup du sort incroyable, Valérie Pécresse passait le premier tour, alors il lui manquerait la réserve électorale de la droite Le Pen-Zemmour-Ciotti, celle qu’elle aura boudée pour chasser l’électeur fantôme du centre droit ; cette droite-là ne votera pas Valérie Pécresse — ou s’abstiendra — alors qu’elle aurait pu voter pour le LR Éric Ciotti.
En face, la réserve électorale pour le second tour d’Emmanuel Macron est gardée bien au chaud en attendant cette hypothèse : la gauche progressiste — Anne Hidalgo, Yannick Jadot, et Olivier Faure — se mobilisera partiellement pour Macron afin de faire échec à Valérie Pécresse, l’horreur absolue d’un libéralisme trop ouvertement revendiquée par la « femme forte ».
On voit donc que face à un Emmanuel Macron plus retors que jamais — radsoc diraient certains esprits critiques — la partie semble donc jouée d’avance. Sauf si… Sauf si… en février/mars, la perspective d’un ticket présidentiel se mettait en place pour un second tour inédit : l’alliance des droites. Celle d’un président sans ambiguïté sur le cap à tenir, allié à une Première ministre expérimentée. Les objectifs sont clairs : capter le vote bourgeois des fillonistes, tout en rassurant les milieux financiers ; agréger le vote de tous ceux qui croient à la réussite de l’ascenseur social avec celui des gens raisonnables ; créer un véritable espoir parmi les abstentionnistes populaires de droite et de gauche. Voilà un ticket Zemmour-Pécresse suffisamment « puissant » pour affronter avec succès le second tour face à Emmanuel Macron… !
Notons que le cas inverse ne se produira pas : s’il doit être battu au premier tour, Zemmour se retirera sans consigne de vote. Son ambition n’est pas de devenir le supplétif d’un gouvernement centriste. Alors, rêvez un peu, électeurs de droite : la perspective d’un ticket présidentiel permettrait une nouvelle dynamique anti-Le Pen ; et pour le second tour, l’espérance d’un vrai changement à portée de main. Encore faudrait-il que Valérie Pécresse, selon l’évolution probable des sondages envisagée plus haut, ait le courage — insensé aujourd’hui — de dire « oui, mais » à Eric Zemmour ; et la volonté de poser ses conditions pour signer une coalition à l’Allemande durant l’entre-deux tour. Il n’est pas encore interdit aux électeurs de rêver… Et pour les autres, de cauchemarder !
Ajoutons une dernière chose. Il n’y a plus de président au-dessus des partis : tout au plus, un petit couple de gouvernement écrasé par un chef autoritaire. Aussi, le débat de l’entre-deux tour devrait se faire à quatre : les deux candidats officiels avec leur futur Premier ministre. Les électeurs ont en effet le droit de savoir qui va conduire la France et comment la France sera gérée au quotidien !
Yves Gautrey / 10 décembre 2021