Le discours d’Athènes et puis pfft …!

Le discours d’Athènes sur l’Europe… Et puis, pfft !

5 janvier 2022 : alors que la France vient de prendre la présidence du Conseil de l’Union européenne, je reviens sur le discours d’Athènes de 2017 où Emmanuel Macron parlait déjà de « souveraineté européenne ».

Emmanuel Macron a pris la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne ; et non pas la présidence de l’Union européenne comme on dit souvent à tort. Il s’agit en fait d’une superbe médaille en chocolat — un hochet disait Napoléon Bonaparte — car son rôle se limitera à influencer les agendas des réunions. Par exemple, Emmanuel Macron ne présidera donc pas le Conseil européen qui, regroupant les 27 chefs d’État de l’UE, est présidé par Charles Michel. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, ne présidera pas non plus l’Eurogroupe, l’organe informel réunissant les ministres des Finances de la zone euro. Etc.

Mais plutôt que de chipoter ce hochet, prenons un peu de recul et jetons un premier regard sur ce qu’est devenu le projet européen d’Emmanuel Macron. Lors de son discours d’Athènes, celui-ci s’adressait, au-delà de la foule réunie pour l’applaudir, à ses homologues et dirigeants européens : une analyse sans fard sur la faillite de l’Europe ; sur les suites du référendum perdu de 2005, et les conséquences de l’adoption — en catimini des peuples — du Traité constitutionnel de Lisbonne en 2007.

Retour à Athènes, ce jeudi 7 septembre 2017

Le Parthénon de la Grèce antique scintille dans la nuit. La foule est là, attendant la voix qui va jaillir… Le petit grillon méditerranéen est déjà parti se coucher ; les effluves des pins parasols centenaires nous enivrent en cette fin d’été ; le vent bruisse légèrement entre les aiguilles de pin qui frémissent sous la brise ; au loin, quelques feux éclairent magnifiquement le cœur de l’Acropole. Une autre soirée magique s’annonce sur la colline de la Pnyx. L’instant est précieux. Unique. Presque surnaturel. Brutalement, le silence vient de tomber sur l’histoire ; et la nuit aussi. Mais déjà, on entend chuchoter la foule : parle-t-elle de Socrate, de Sophocle, d’Euripide ou de Périclès ? De vieux diplomates de carrière murmurent entre eux ; l’un d’eux me désigne un point dominant sur la scène de théâtre qui va se jouer ce soir : « En 1959, Malraux était là… » Percevait-il comme Périclès 2 400 ans plus tôt — le cœur battant — les mêmes chuchotis en attendant son tour pour parler à la foule ?

En tout cas, une soixantaine d’années plus tard, le nouveau président français exigea — paraît-il — rien de moins que la symbolique du Parthénon pour nous parler de l’Europe ! Et les conseillers du Prince transformé pour un soir en nouveau Périclès du Touquet-Paris-Plage ont bien travaillé : reniflant la bonne idée sur Google, ils renouvelleront ce soir le cliché historique d’André Malraux devant l’Acropole, devenu par la grâce de l’information en continu, un gigantesque selfie d’Emmanuel Macron en couleur. Le pouvoir a ceci de bon que l’on peut se faire plaisir aux frais du contribuable — n’importe où, n’importe quand et quoi qu’il en coûte — sans que personne n’ait quoi que ce soit à redire. Jouissant des pleins pouvoirs donnés par la Constitution de la Ve République, la première mise en perspective historique de ce jeune président est bien sûr allégorique : l’Acropole d’Athènes, berceau de la démocratie athénienne, là où l’assemblée des citoyens — l’Ecclésia — votait à main levée les lois de la cité, le budget, la paix, la guerre, et aussi l’ostracisme… Bien loin de ce qu’est devenue notre démocratie française.

Et soudain, l’acteur de théâtre apparut : ce n’est pas Périclès, ni Socrate, Sophocle, ou Euripide, mais bien Emmanuel Macron. Minutes magiques pour le petit Amiénois nouvellement élu. Son sourire est béat. Ici et maintenant, plutôt qu’ailleurs et plus tard : la devise éternelle d’un homme pressé d’entrer dans l’Histoire.

De ce discours d’Athènes, jaillit la véritable ambition d’Emmanuel Macron : « Il faudra retrouver le sel de cette zone euro et inventer une gouvernance forte qui nous fera souverains, avec un budget de la zone euro, avec un véritable responsable exécutif de cette zone euro, et un parlement de la zone euro devant lequel il devra rendre compte. » Autrement dit, une monnaie, un budget, un chef, un parlement. Pour parfaire son image de visionnaire progressiste et social, Il ajoutera : « Il faudra une Europe dans laquelle nous osons à nouveau défendre la convergence sociale, fiscale, parce que c’est ce qui nous tient réunis, et évite les divergences qui nous éclatent. » À peine élu, ce jeune président se voyait déjà président de l’Union européenne, économique, sociale et financière. Ambition, prétention, présomption ?

Quelques phrases résumeront sa pensée quant à la refondation démocratique de l’Europe : « L’Europe a avancé comme à l’abri des peuples […] On a parfois menti aux peuples, faisant croire que, sans rien réformer, on pouvait vivre à Athènes comme à Berlin. […] Mais qui a-t-on fait payer ? Le peuple grec. […] On a voulu corriger tout cela par des politiques qui, mues par la défiance, ont créé des injustices et des incompréhensions. » Il nous décrit une Europe désorganisée par ses luttes intestines et mercantiles, incapable d’affronter les défis de demain ; sa vision de l’Europe était pourtant assez simple à comprendre : dupliquer le modèle français de la redistribution — c’est déjà le « quoi qu’il en coûte » financé par toujours plus de taxes — afin d’assurer l’intégration des peuples par une fusion des nations en vue d’assurer une hypothétique paix sociale, compte tenu des enjeux de civilisation actuels. Le tout dirigé par un chef « droit dans ses bottes ».

Mais le vrai destin que s’est fixé Emmanuel Macron est contenu dans cette autre phrase prononcée par un homme rêvant d’une épopée européenne plus grande encore que celle qu’Il s’apprête à vivre pendant cinq ans à l’Élysée : « La seule question qui nous était posée, c’est : comment faire de la zone euro une puissance économique qui puisse tenir, face à la Chine et face aux États-Unis ? » Volonté de puissance européenne pour marquer l’histoire ? Non ! Emmanuel Macron tente ce jour-là un positionnement stratégique : devenir le leader d’une Europe en crise qui, depuis le Brexit, se délite aux yeux des peuples.

On remarquera dans ce discours un leitmotiv qu’il ne cessera de marteler pendant les quatre années suivantes : « Il nous faudra, par des propositions concrètes que je veux rapides, refonder cette souveraineté pour que notre Europe sorte de ses petites divisions et puisse construire, d’ici à dix ans, les termes de sa souveraineté. » Il s’agit de la souveraineté européenne dont Il ne cesse de s’enivrer à chaque discours : un concept creux pour tous ses homologues de l’UE.

Son discours suivant, celui du 26 septembre à la Sorbonne, précisera tous les points abordés à Athènes. Les plus importants portaient sur la souveraineté européenne, la réponse commune aux défis migratoires, l’équité sociale, l’Europe démocratique, l’Europe écologique, et l’Europe de la défense et de l’innovation.

Cinq années plus tard, que reste-t-il du discours de l’Acropole et de la Sorbonne ?

La vérité nous oblige à dire qu’aucun pays européen n’a partagé le grand rêve du jeune homme romantique, trop sûr, trop fier, « et en même temps » tellement enfantin, pour des voisins européens trop égoïstes, trop pragmatiques, et « et en même temps » tellement expérimentés. Cependant, l’Europe continue à se retourner contre la France :

● La souveraineté européenne s’est heurtée aux intérêts des États-Unis et à l’égoïsme économique des membres de l’OTAN qui lâchèrent la France au Sahel en mer face à la Turquie et même lors de l’annulation du méga contrat des sous-marins australiens.

● L’Europe de Schengen ne s’est aucunement améliorée : tous les maux constatés en 2017 ont perduré et les flux migratoires se sont même amplifiés en France.

● L’Europe de l’équité sociale n’a pas avancé non plus : le pouvoir d’achat des pays les plus riches sont toujours tirés par le bas en raison des salaires des pays les plus pauvres. Et dorénavant l’inflation et les taux d’intérêts du « quoi qu’il en coûte » menacent l’Europe du Sud, et surtout la France compte tenu de sa dette émise pour financer sa politique de redistribution sociale.

● L’Europe démocratique n’a pas avancé d’un pouce non plus ; on se demande même si, à l’occasion de la crise sanitaire, celle-ci n’aurait pas plutôt reculé en France, et ailleurs.

● L’Europe de l’Ecologie s’est soldée par une guerre menée par l’Allemagne contre le parc nucléaire français, qu’in extremis, la France a réussi à repousser partiellement le 31 décembre 2021.

● L’Europe de la Défense s’est traduite par un projet de d’avion de combat dont même le Directeur Général de Dassault Aviation Éric Trappier nous dit qu’il ne pourra être mené à bien que « si la France reste maître d’oeuvre et que l’Europe affiche « une vraie volonté » de souveraineté de défense ». C’est un abandon programmé de nos technologies sur l’autel de l’Europe.

● L’Europe de l’Espace s’est effritée avec la délocalisation de la production en Allemagne du moteur Vinci de la fusée Ariane (600 personnes au tapis sur le site de Vernon) et l’acceptation d’un nouveau pas de tir en mer du Nord concurrençant à terme celui de Kourou.

La tâche à mener est incommensurable ; la présidence française du Conseil de l’UE sera donc probablement un grand échec. Mais soyons persuadés qu’Emmanuel Macron nous « démontrera » le contraire : en effet, son bilan est déjà connu avant même que sa présidence ne commence : une taxe carbone aux frontières de l’Europe sera instaurée, la taxonomie verte sera actée pour le nucléaire mais aussi pour le gaz, les États membres seront encouragés à augmenter leurs salaires minimaux. et une nouvelle directive Schengen (purement incitative) sera signée en grande pompe.

Autrement dit, ce sera une présidence pour pas grand-chose puisque tout a déjà été décidé. D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement compte tenu du fait que la présidence française se superpose à l’élection présidentielle et qu’elle ne durera dans les faits qu’un peu plus d’un trimestre ; en effet, il est fort probable qu’aucun des ministres actuels ne sera reconduit. Quant à Emmanuel Macron, un doute vient de s’installer pour sa réélection. Cerise sur le gâteau présidentiel, soyons certains que les autres pays européens feront tout pour lui mettre une pression maximum durant les négociations d’arrière-salles. Une question lancinante subsiste : que va t-Il lâcher d’important pour étoffer son image de marque et se faire réélire ?

Depuis septembre 2017, la destinée européenne d’Emmanuel Macron s’est brisée sur la réalité. Son engagement et ses saillies n’auront rien changé : ni au cours de la France ni à celui de l’Europe, et encore moins à celui du monde. Mais Il y croit toujours, car lors de ses voeux pour 2022, Emmanuel Macron nous annoncera le lancement des mêmes chantiers que ceux listés à Athènes et à la Sorbonne : ce sera « un temps de progrès pour la maîtrise de nos frontières, notre défense, la transition climatique, l’égalité entre les femmes et les hommes, la construction d’une alliance nouvelle avec le continent africain, le meilleur encadrement des grandes plateformes de l’internet, et la culture en Europe. » La même petite ritournelle devenue refrain électoral. Les maux de ses mots…

Mais l’affaire du grand pavois européen placé, seul, sous l’Arc de Triomphe —au coeur de la mémoire française dominant l’Europe — démontre une nouvelle fois l’amateurisme de celui qui préside dorénavant le Conseil de l’UE : quel paradoxe pour celui qui parlait tellement de souveraineté européenne et qui pour finir, se voit contraint d’enlever ce drapeau bleu étoilé. Une humiliation de plus que ses pairs — progressistes et européistes comme lui — ne pardonneront pas. A moins que ce ne soit une provocation de plus.

Dans une soixantaine d’années, le Parthénon de la Grèce antique scintillera encore dans la nuit ; on pensera bien sûr à Socrate, Sophocle, Euripide, et Périclès. Vers la même heure, le grillon ira de nouveau se coucher ; les effluves des pins parasols enivreront encore les uns et le vent bruissera doucement aux oreilles des autres.

Alors, une rumeur s’élèvera de la foule et on chuchotera : « Malraux était là aussi ! »

Yves Gautrey

Article paru dans Front Populaire le 5 janvier 2022

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