Océrisation

Quand la Macronie organise une OPA sur les demandes des Français.

 Vous souvenez-vous du Grand Débat, organisé à grand renfort de communication par l’exécutif pour désamorcer un réveil des Gilets jaunes ? Eh bien, la Macronie n’a pas vraiment tenu ses promesses de transparence…

« Les cahiers citoyens ouverts dans les mairies seront mis en ligne sous licence libre ». Ainsi parlait Emmanuel Macron dans sa « lettre aux français » publiée le 13 janvier 2019.  Le Grand Débat était lancé dès le 15 Janvier.

On connaît la suite. Les cahiers de doléances se multiplièrent à travers le pays. Nonobstant les comptes rendus des 10.000 réunions publiques, conférences et débats locaux, les doléances de 2019 s’amoncelèrent : ce furent 500.000 contributions et courriers envoyés par les citoyens à la mission du Grand Débat, plus de 400.000 contributions enregistrées sur la plateforme en ligne dédiée. Transmis par les communes au pouvoir central, ils représentaient un immense sondage de la France profonde et des Français en cette période de Gilets jaunes ; tout comme le furent sous Louis XVI, en janvier 1789, les cahiers de doléances présentés au souverain. D’ailleurs, ces derniers continuent toujours à inspirer les historiens contemporains, spécialistes de cette époque.

Dans sa lettre aux Français, Emmanuel Macron avait pourtant pris un engagement fort devant tous les citoyens : « pour garantir votre liberté de parole, je veux que cette consultation soit organisée en toute indépendance, et soit encadrée par toutes les garanties de loyauté et de transparence. » Emmanuel Macron avait aussi bien insisté sur la perspective donnée à ces cahiers de doléances : « Ce n’est ni une élection, ni un référendum. C’est votre expression personnelle, correspondant à votre histoire, à vos opinions, à vos priorités, qui est ici attendue, sans distinction d’âge ni de condition sociale. C’est, je crois, un grand pas en avant pour notre République que de consulter ainsi ses citoyens. Vos propositions permettront donc de bâtir un nouveau contrat pour la Nation, de structurer l’action du gouvernement et du Parlement, mais aussi les positions de la France au niveau européen et international. »

Une nouvelle fois, ce ne furent que des carabistouilles.

La sauvegarde de tous ces documents ne sera pas publique ; toutes les préfectures ont bien transmis les cahiers de doléances à la Bibliothèque nationale de France (BNF) où ils ont tous été numérisés en texte informatique. Mais si cette opération d’océrisation a bien été menée, c’est-à-dire sa numérisation par reconnaissance optique des caractères, l’État refusera toujours de le mettre en ligne.

Pourquoi ce refus ?

Selon France Info, le 14 Janvier 2020 : « le cabinet de Sébastien Lecornu, ministre qui co-animait le Grand Débat, indiquait que “les cahiers citoyens représentant des téraoctets de données, les héberger en permanence sur le site aurait été trop lourd à mettre en place” ». À l’heure du « cloud », c’est nous prendre vraiment pour des imbéciles… Selon la même source, « le gérant de Cognito Consulting, l’une des trois entreprises mandatées par le gouvernement pour traiter les cahiers de doléances déclarera : “On ne nous a jamais parlé de cette raison-là à l’époque, je ne pense pas qu’elle soit pertinente puisque l’ensemble de nos données tenaient sur nos ordinateurs. Le problème c’est qu’on ne peut plus faire d’analyses sur ce corpus, qui est un trésor national. On n’a jamais collecté autant d’expressions citoyennes en France. C’est dommage”. » Le magazine Capital a demandé, le 18 janvier 2020, la mise en ligne de ces informations : en vain.

Ou comment enterrer les cahiers de doléances du Grand Débat afin de priver les Français de programmes alternatifs? Et voilà, le tour est joué : le référendum géant des idées réformatrices est officiellement remisé au placard. Vous savez maintenant comment ont été enterrés les cahiers de doléances du Grand Débat. Enfin, presque …

En effet, de ces cahiers de doléances, écrits par les Français, seuls Emmanuel Macron et ses conseillers politiques pourront tirer les bonnes idées, les conclusions utiles, un programme clés en mains pour 2022 ; aucun des autres partis politiques, journalistes, chercheurs, universitaires, ou sociologues, n’a eu accès aux données globales ; aucun ne pourra analyser, synthétiser, décrypter simplement ce que ces centaines de milliers de Français nous ont dit du fond du coeur… et que l’Elysée et le gouvernement ont gardé pour eux.

Qui parlait de « licence libre » et de « toute transparence » ? Et pourtant, grâce à cette océrisation et toutes ces données publiques, le vrai Grand Débat aurait pu se poursuivre et déboucher sur des analyses fines et pertinentes. Il faudra exiger que cette océrisation soit rendue publique, et devienne accessible à tous.

PS : Pour la petite histoire, le terme océrisation vient du logiciel de reconnaissance optique de caractères utilisé pour transformer une image en texte numérisé textuel : « Optical Character Recognition » (OCR) ; d’où sa francisation avec ce néologisme « océrisation ». La sauvegarde des fichiers est exploitable ensuite dans un traitement de texte classique.

Article paru dans Front Populaire le 14 février 2022

Yves GAUTREY Essayiste

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