Après le relatif échec de l’opération Barkhane, l’annonce jeudi du retrait des troupes françaises au Mali montre, il est temps que la France prenne ses distances militairement parlant avec l’Afrique. Analyse en deux parties.
En juin 2021, le président Macron affirmait à propos des putschistes maliens que « la légitimité du gouvernement actuel » était « démocratiquement nulle », préparant ainsi un retrait du Mali. En septembre 2021, il qualifiait même de « honte » les accusations d’abandon du Mali par la France portées par le Premier ministre de transition à la tribune de l’ONU : « J’ai été choqué. Ces propos sont inacceptables […]. Alors qu’hier nous avons présidé à l’hommage national au sergent Maxime Blasco [tué au combat au Mali], c’est inadmissible. C’est une honte et ça déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement », déclarait Emmanuel sur RFI à l’issue d’un dîner de clôture de la saison Africa 2020 à l’Élysée. Ce jeudi 17 février, le président a annoncé sa décision de retrait du Mali, sans gloire ni honte, face à l’impossibilité pour la France de continuer à tenir l’éternel double discours, militaire et donc interventionniste, et germanopratin, donc progressiste. Il acte ainsi le recul de la stratégie militaire française en Afrique. Par la même occasion, il en profite pour céder l’Afrique — terre traditionnelle de l’influence française — au profit d’une Europe plus conquérante que jamais qui, profitant de la faiblesse de notre pays, va s’y tailler la part du lion pour laquelle elle n’aura jamais versé le sang.
La France en Afrique : une vraie peau de chagrin
Depuis les années soixante-dix, les vagues conquérantes se succèdent en Afrique avec plus ou moins de bonheur : d’abord les commerçants japonais dans l’automobile et l’électronique ; suivis par la vague américaine dans le pétrole et l’humanitaire ; puis, le raz de marée chinois dans les infrastructures et surtout les services ; et maintenant, l’infiltration militaire des Russes. Malgré la croissance continue du PIB africain, la France n’a pas su profiter de l’opportunité qui nous était offerte historiquement : nous nous sommes contentés d’y donner des leçons de démocratie, de bien-pensance et d’humanisme à bon compte. Nos parts de marché sont devenues ridicules : la France y a perdu en vingt ans près de la moitié de celles-ci, passant de 12 % à 7 % ; talonnés par l’Allemagne, nous n’y exportons plus que 29 milliards d’euros de biens et services, alors que la Chine dépasse déjà les 110 milliards ; même les Pays-Bas investissent plus en Afrique que la France, respectivement 79 milliards pour 53 en 2020 (sources : DW/57 510 591/janvier 2021). Avec 59 % de nos exportations vers l’UE, 13 % vers l’Asie et 10 % vers l’Amérique, nos 6 % vers l’Afrique apparaissent comme le parent pauvre de notre balance commerciale : en chute libre depuis 2002, le déficit atteint en 2021 le record historique de 85 milliards d’euros. La France décroche donc inexorablement du podium commercial comme pour tant d’autres sujets. Même Vincent Bolloré n’y croit plus : il va bientôt céder son empire logistique en Afrique et solder l’addition. Cerise sur le gâteau, l’arrimage à l’Euro du bon vieux franc CFA, géré depuis toujours par la France, est dorénavant contesté par les chefs de gouvernements africains.
Sur le plan de la défense de nos valeurs humanistes, le constat est là aussi sans grande nuance. Hormis les missions de sauvetage de nos ressortissants et celles placées sous l’égide de l’ONU, la France a pourtant mené depuis les années soixante une quarantaine d’interventions militaro-politiques : Tchad, Zaïre, Rwanda, Burkina Faso, Mauritanie, Comores, Gabon, Cameroun, Centrafrique, Niger. Cette présence militaire active n’a pas permis l’émergence, si ce n’est à la marge comme au Sénégal ou en Côte d’Ivoire, d’un modèle d’État de type occidental habituellement présenté comme le seul vertueux. Cette contre-performance s’est traduite par la poursuite de soubresauts politiques violents, souvent par des coups d’État ou guérillas larvées ; par l’appauvrissement d’économies locales minées par la surpopulation, la sècheresse et la corruption ; par des élites souvent formées dans nos universités, qui ne cessent pourtant de se plaindre des ingérences françaises et de l’insuffisance des aides d’État ; par leur refus de reprendre leurs ressortissants condamnés en France alors que nous mourrons pour les protéger d’un islamisme radical mortel chez eux. Autant d’affronts faits à la France et de marchandages sordides acceptés par nos dirigeants qui, au nom de « bonnes » raisons géostratégiques, ne décident jamais quoi que ce soit de structurant pour les décennies à venir. Imaginez-vous le général de Gaulle, Mitterrand ou Chirac accepter de financer l’Afrique et ses dirigeants, tout en se faisant humilier de la sorte ?
La France n’a plus les moyens de ses ambitions en Afrique francophone
L’arrivée des paramilitaires russes a sonné l’hallali de la présence française en Afrique francophone ; il est maintenant de notoriété publique que le groupe Wagner et ses sociétés militaires privées se sont implantés — sous couvert de contrats privés d’assistance militaire — dans une quarantaine de pays : Libye, Syrie, Soudan, Mozambique, Lesotho, Botswana, Mauritanie, Niger, Centrafrique, Angola, Madagascar, Mali, Guinée-Conakry et Guinée Bissau. Ces groupes challengent la France dans toute l’Afrique francophone. Mais surtout, comme on a pu le constater lors de la guerre contre Daesh en Syrie ou en Libye, leurs coûts et leur efficacité sur le terrain apparaissent plus compétitifs — et bien moins droits-de-l’hommistes — que les moyens militaires français déployés sur place. Vulgairement parlant, ils vont faire au Sahel le sale boulot pour régler le problème djihadiste. Mais à quel prix ?
Devant la déliquescence des forces de sécurité intérieure des États africains et la persistance des échecs des militaires occidentaux, la lassitude s’est installée dans les villes et les villages. Afin d’éviter de nouveaux massacres et de tenter d’arrêter la terreur permanente, les populations africaines désenchantées vont désormais se tourner en masse vers les islamistes — sous la contrainte terroriste ou par pragmatisme — pour ne plus mourir. À cet égard, une sorte de pressentiment tenaillait déjà Emmanuel Macron lors de son discours de Ouagadougou en novembre 2017 : « Je ne suis pas venu ici vous dire quelle est la politique africaine de la France […] parce qu’il n’y a plus de politique africaine de la France ! » Ce constat resté sans réelle stratégie dit tout de la présence française à venir. Depuis, nonobstant, la reprise gourmande d’une expression bien africaine : « les événements m’ont scarifié », il s’est contenté de conférences et symposiums sur la coopération, le développement économique, les droits de l’homme, la Francophonie ; autant de moulinets aux relents postcoloniaux et d’injonctions géopolitiques sentant bon la repentance. Par peur d’être entraîné dans une série d’engrenages potentiellement violents pour l’image de la France et son président, quelques chèques à sept zéros minimum et beaucoup de mots feront oublier les risques de tension, voire d’explosion, des relations franco-africaines. Ainsi, Emmanuel Macron maintiendra-t-il l’illusion d’une France protégeant toujours l’Afrique et les Africains. Pour l’instant, l’opinion publique française reste encore favorable au maintien d’une présence militaire française en Afrique. Pendant combien de temps encore ? Les médias et la majeure partie de la classe politique française se rassurent en parlant d’un pré carré français intouchable et d’influence stratégique en Afrique. Personne ne dit combien — là aussi — la déconstruction de la France en Afrique est en marche depuis longtemps : celle-ci commence aussi à gagner les Antilles où l’on déboulonne les statues.
Si les succès de nos troupes engagées sur le terrain en Afrique sont remarquables, et démontrent notre capacité d’intervention militaire, la faiblesse de notre budget de la Défense est manifeste : 41 milliards d’euros pour 2022, chiffre à rapprocher de l’Allemagne (50 milliards d’euros), selon le groupe de réflexion IRIS spécialisé sur les questions géopolitiques et stratégiques. Notre déficit d’investissement cumulé est largement supérieur à 10 milliards d’euros au cours des seuls quinquennats Hollande-Macron : ce montant correspond peu ou prou au coût d’intervention notamment au Sahel, et particulièrement au Mali.
La France — déclassée au 7e rang des puissances économiques et dont le PIB par habitant stagne au 29e rang mondial — n’a plus vraiment les moyens de sa grandeur. Selon le site gouvernemental Vie publique, le coût unitaire par militaire projeté en OPEX, dépasse les 100 000 euros par an ; le montant pour l’année 2020 s’élevait à 1,461 milliard d’euros ; et depuis 50 ans, 647 militaires français sont morts en opérations extérieures. À ces coûts, il convient d’ajouter la dépendance militaire de la France vis-à-vis des États-Unis alors que ces derniers veulent se retirer de l’Afrique. Cette dépendance aux États-Unis accroît non seulement le sentiment de déclin technologique de nos armées, mais aussi, réduit considérablement notre souveraineté diplomatique.
Réalisant la trajectoire déclinante de la France, Emmanuel Macron ne cessera de nous parler de souveraineté européenne en espérant nous vendre un nouveau roman national : il compte bien enfourcher un jour le cheval européen et redorer ainsi — mais faussement — le blason français. Cette ambition — une arrogance bien française, diraient nos voisins européens — se résume depuis vingt ans à coqueriquer très fort « Europe… paix et sécurité ! », en feignant d’oublier que nous avons les deux pieds bien enfoncés dans les décombres de nos échecs stratégiques. C’est encore le cas ce 17 février 2022.
Voir la partie 2 de ce sujet ici.
Yves Gautrey