
Cet article est publié dans le magazine de Michel Onfray, Front Populaire : En bon profiteur de crise, le bloc centriste étouffe le débat démocratique sur les sujets essentiels pour l’avenir du pays. Une stratégie à double tranchant. Article a retrouver ici.
La « lettre aux français » d’Emmanuel Macron, publiée par la presse régionale le 4 mars dernier, sonne le top départ de la campagne présidentielle ; en fait, une fin de partie pour l’expression politique macronienne qui se résumera à quelques mots échangés — à distance — avec ses opposants ; nous verrons s’accumuler les hypocrisies de circonstances, les effets de manche guerriers, les petites phrases assassines et les déballages polémiques. Nul ne le sait, mais tout le monde le pense : la campagne sera courte, modeste et, osons le dire, assez minable, puisque sans débat de fond et si peu contradictoire avec Macron 1er.
Les parties en présence
Le programme de Macron 1er est assez simple : protéger les Français d’un conflit généralisé en Europe et faire en mieux ce qu’il n’a pas su faire avant. Comme le laissait entendre Jean-Pierre Raffarin : après un stage de cinq années, la guerre vient de donner à Emmanuel Macron les ailes d’un phénix renaissant de ses cendres. Pour l’instant, les autres participants se contentent de replonger dans leur rôle habituel de figurants, comme ce fut le cas en 2017 : ils n’ont ni nomenklatura politique (l’État profond) pour relayer leurs idées, ni l’appui des médias bien trop occupés à commenter une guerre russo-ukrainienne, qui occupe — bien opportunément pour le candidat-président — tout l’espace audiovisuel. On a bien compris que les plus gros crocodiles politiques du moment — Marine Le Pen, Éric Zemmour, Valérie Pécresse et Jean-Luc Mélenchon — tourneront tristement en boucle dans un marigot politique au fond boueux et sans profondeur. Déjà depuis quelques jours, Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Fabien Roussel et consorts ne ponctuent même plus les infos du soir.
Comme en Côte d’Ivoire, sur les rives du lac sacré de Yamoussoukro, nous verrons bientôt les médias et Macron 1er jeter à ces oppositions devenues simples faire-valoir, quelques malheureux poulets, histoire de les faire survivre le temps de cette triste campagne électorale.
Les challengers
Si Éric Zemmour n’a pas encore dit son dernier mot, notons cependant que le feuilletonnage du candidat fut massif : petites phrases sorties de leur contexte, rabâchage incessant d’expressions malheureuses, essentialisation de ses propositions, procès à répétition, dégradation systématique de son image, bruits de casseroles et insultes lors de ses déplacements. De polémiste de droite, il endosse depuis quatre mois les costumes de pétainiste, d’extrémiste, de misogyne, d’islamophobe, d’antisémite et même de profanateur de sépultures à l’occasion d’un hommage devant le Bataclan. C’est à croire que la plupart des médias ne pardonnent toujours pas à leur ex-confrère d’avoir osé franchir le rubicon de la soumission au dogme macroniste. Laurent Ruquier ira jusqu’à évoquer à son égard une forme de polygamie : « Zemmour, futur papa, devrait d’un seul coup devenir un autre homme, favorable désormais à la polygamie. » Et pourquoi pas l’accuser d’être le vilain prophète crépusculaire ? Mais attention, contrairement aux idées reçues, au crépuscule du soir succède toujours le crépuscule du matin : ceci expliquerait pourquoi Éric Zemmour sème autant d’émois chez les vieux « progressistes », que d’espoirs chez les nouveaux « bons droitistes ».
Un jour considéré comme marchepied de Valérie Pécresse, un autre comme faire-valoir de Marine Le Pen, Éric Zemmour est dorénavant le seul adversaire idéologique sérieux d’Emmanuel Macron. Mais l’habitude de toujours taper sur l’empêcheur de tourner en rond est prise et après la famille Le Pen, Dupont-Aignan, et Mélenchon, c’est son tour : il pensait être la boule de bowling qui renverserait les quilles du pouvoir en place, il va devenir — à la faveur de cette campagne qui s’annonce trop courte — une boule de flipper rebondissant sur les bumpers médiatiques, les slingshots élyséens, ou les spinners judiciaires. Que les électeurs souverainistes ne désespèrent pas : parfois la partie de flipper se termine par un « game over : same player shoot again » aux élections législatives.
À l’inverse, Marine Le Pen est apparue — pour les besoins de la cause élyséenne — comme la nouvelle vierge noire aux yeux doux — romane et républicaine —, celle de la cathédrale de Notre-Dame du Puy-en-Velay. Rappelons aux lecteurs non avertis que cette vierge noire n’a rien à voir avec le wokisme ambiant. Pour contrer E Zemmour, il fallait la rendre présentable et accessoirement de droite ; elle est dorénavant normalisée pour sa toute dernière campagne ! Arlette Chabot notait que « c’est une très bonne cliente », et même David Pujadas lui trouvait « quelque chose de Georges Marchais ». Et pourquoi pas de Tennessee ? Vous verrez que le pipeau électoraliste médiatique ne durera pas : l’image de la sorcière blanche de l’extrême droite refera surface dès qu’elle accédera — si elle y arrive — au deuxième tour.
Quant à Valérie Pécresse, on se perd en conjectures sur sa personnalité et son programme.
Le souverainisme sera le grand absent
Après cinq années d’errements idéologiques, les européistes béats, les hygiénistes mentaux, et les apparatchiks de l’État profond ont presque gagné le pari d’Emmanuel Macron : rendre médiocre toute contestation de l’extrême centre et faire accepter la voie du fédéralisme européen. Cette année encore, le débat sur le souverainisme ne sera qu’à peine effleuré : aucun candidat — sauf Éric Zemmour — n’osera aborder de façon réaliste ce sujet électoralement toxique. Emmanuel Macron en parlera abondamment comme d’habitude, mais ne fera aucune promesse engageante.
La guerre Russo-Ukrainienne masque la réalité de la France, mais n’en doutons pas, la vérité, toute crue, ressortira dès la guerre terminée : la force de frappe nucléaire n’est plus dans les sous-marins français, mais dans les bureaux feutrés de la Banque centrale européenne. Le « quantitative easing » européen, celui qui permit le monstrueux « quoi qu’il en coûte » macronien, est devenu la nouvelle arme nucléaire européenne ; elle va nous conduire à abandonner toutes velléités de souveraineté française : nous sommes devenus depuis 2021 — malgré nous et par la seule volonté d’Emmanuel Macron — totalement tributaires des décisions politiques bruxelloises : nous rembourserons pendant des décennies les dettes contractées par Emmanuel Macron au nom du bien-être des Français. L’inflation qui arrive à grands pas, nous aidera à digérer le choc, mais ce sera au détriment des classes moyennes.
Déjà, on entend dire un peu partout qu’il va falloir — à cause de Poutine et de la guerre en Ukraine — faire des choix douloureux pour les Français. Mais de toute façon, c’est oublier que la crise sanitaire et le « quoi qu’il en coûte » nous imposaient déjà des choix difficiles quant au modèle social français, aux systèmes des retraites, au pouvoir d’achat des classes moyennes et à la gestion du chômage. La guerre et les conséquences des sanctions occidentales — qui auraient été considérées comme absurdes dans des circonstances de croissance normale — seront de parfaites excuses pour nous cacher la réalité financière de l’Europe. Le candidat Macron concluait d’ailleurs sa lettre aux Français par cette phrase explicite pour qui veut la lire : « Ensemble, nous pouvons faire de ces temps de crises le point de départ d’une nouvelle époque française et européenne. » Soyons persuadés, là aussi, que chaque future réforme structurelle ne se fera qu’après l’accord formel de la bureaucratie bruxelloise.
Mais Ô joie des circonstances, notons dès maintenant que Macron 1er essayera de diriger cette belle bureaucratie compte tenu de l’agenda à venir qui lui est favorable : s’il gagne en 2022, Macron 2e visera en effet la présidence du Conseil européen qui sera renouvelé en juillet 2029. Imaginez-vous vivre dans une Europe macronienne pendant si longtemps encore ?
S’il est élu, nous subirons une nouvelle époque
Lors de son intronisation ratée au poste de Président des Conseils des ministres de l’Union européenne — tellement les attaques des députés européens au Parlement de Strasbourg ce 17 janvier 2022 furent rudes et sans complaisance aucune —, Emmanuel Macron nous assénait cette phrase en forme de prédiction : « Une forme de guerre civile européenne réapparaît. » Cela nous a immédiatement rappelé sa macronitude tweetée le 27 septembre 2017 : « L’Europe a perdu du temps dans des guerres civiles. La mère des batailles, c’est le monde ! » Bien sûr, ni en 2017 ni en 2022, personne ne pensa aux dizaines de millions combattants européens morts pendant les deux « guerres civiles européennes », et insultés de la sorte ! Aussi, réaffirmer ce faux concept était non seulement un manifeste anti-souverainiste, mais surtout une insulte à l’histoire des nations européennes. Quelle ironie de voir resurgir une nouvelle « guerre civile européenne » entre l’Ukraine et la Russie, une guerre dont nous connaissions pourtant l’origine et les développements prévisibles. Une guerre entre deux peuples frères qui, pour des raisons opposées, ne veulent pas mourir.
Et que dire à propos de ce qui va bientôt fâcher deux Français sur trois ; je veux parler de la liquidation de la France dans une Europe fédérale, elle-même vassalisée de facto par celui qui tente par tous les moyens de rester le maître du monde : les États-Unis. Avec cette Russie mise au banc des nations, on voit aujourd’hui le résultat d’une stratégie destructrice pour l’Europe : le risque d’une déflagration géostratégique. Nous mangerons demain les fruits amers de la guerre économique menée par le « bloc otanien » ligué contre l’Eurasie qui, pour exister et survivre, voudra à son tour dominer le monde.
À l’occasion de la guerre en Ukraine, nous avançons à marche forcée vers la domination culturelle, militaire et économique de l’empire américano-wokiste sur les atlantistes européens soumis. Contre cette souveraineté extra-européenne — et donc si peu européenne quoi qu’en dise Macron 1er — une révolte des peuples est toujours possible. Car au-delà de cette éventuelle mutinerie quasi existentielle, il restera toujours à résoudre la seule grande question de ce XXIe siècle : comment gérer, si ce n’est éviter, l’agrégation des populations africaines dans une Europe en perdition ? Macron 1er le disait avec le grand discernement habituel qu’on lui connaît : « Je préfère avoir des gens qui viennent de Guinée ou de Côte d’Ivoire légaux […] que des filières bulgares ou ukrainiennes clandestines. » Que fera Macron 2e dans quelques mois ? La réponse est évidente : les deux en même temps ! Et pourtant, il y a bien longtemps, Ernest Renan nous prévenait : « Ce qui constitue une nation, ce n’est pas de parler la même langue, ou d’appartenir à un groupe ethnographique commun, c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir. »
Sauf si…
Dorénavant, l’indécrottable et autodésigné préempteur des Nations européennes va nous ressortir son stock de petites phrases en forme de punchlines, ses vidéos intimistes de sept minutes montrant le modeste président, ses bains de foule avec des militants triés sur le volet, ses interviews convenues avec des journalistes si peu critiques. Tout cela n’aura qu’un seul objectif : nous faire oublier ses macronitudes passées, la pauvreté de son bilan et la voie difficile qui va s’ouvrir devant nous.
En forme de conclusion, et d’espoir, petit conseil d’ami à Macron 1er : il faut savoir que le gardien du lac sacré de Yamoussoukro a fini par être dévoré par le plus vieux des crocodiles. Alors, rêvons un peu : la politique peut être au Président ce que Jean-Claude Duss fut à la drague, « on ne sait jamais, sur un malentendu, ça peut marcher ». Les oppositions pourraient, en effet, cette fois-ci, appeler à voter contre Macron 1er au deuxième tour de la présidentielle 2022.
Cette année, le sentiment anti-Macron est tellement puissant que rien n’est définitivement gagné pour Macron 1er. Et nous savons intimement que la guerre russo-ukrainienne finira par se résoudre avec ou sans Macron 2ème.
Yves Gautrey