Le 3 Juillet 2017, le Président Macron réunissait le parlement en Congrès à Versailles pour présenter son projet de réforme pour le pays. 5 ans plus tard, voici l’heure du bilan général, après une première partie consacrée aux institutions, publiée hier.

La réduction du nombre des collaborateurs ministériels
« La réduction que j’ai voulue à dix du nombre de collaborateurs de cabinet, comme le renouvellement de l’ensemble des directeurs d’administration centrale… » La réforme sera appliquée… mais seulement pendant un certain temps. En contrepartie, les salaires des collaborateurs directs vont augmenter et les Cabinets de Consultants pulluler.
Visiblement en manque de bras, le gouvernement d’Édouard Philippe trouvera très vite la parade pour remplacer tous les hauts fonctionnaires recalés au numerus clausus présidentiel. Au nom d’un manque de compétences internes, on externalise massivement : juristes, analystes, logisticiens, stratèges vaccinaux, « cost killers » de ministères, chercheurs de KPI, mentors en management, experts des Fusacqs, restructureurs de dettes nationales, etc. Mais les fausses économies réalisées ne seront pas perdues pour tout le monde, notamment pour les McKinsey, BCG, Capgemini, Citwell, Accenture, etc. Un peu comme une injure pour incompétence faite aux Conseillers du CESE et hauts fonctionnaires en déshérence. En juillet 2020, la gabegie est telle qu’en arrivant, Jean Castex se sentira obligé d’enterrer cette réformette : il autorisera dorénavant quinze collaborateurs par ministre, au lieu des dix prévus par Emmanuel Macron. C’est ainsi que nous aurons droit — nous contribuables — à la double peine : encore plus de collaborateurs dans les Cabinets ministériels et toujours les mêmes consultants pour conseiller les ministres et leurs équipes renforcées amis toujours autant en mal d’idées. Alors, de nouveau lassé par la gabegie, Jean Castex interviendra pour limiter les coûts de Consultants externes à 65 millions d’euros par an pour tout le Gouvernement. Hélas, début 2022, la dérive est telle qu’une commission d’enquête sénatoriale finit par s’ouvrir ; à l’occasion de laquelle, nous vîmes les représentants de McKinsey se perdre en conjectures quant au travail effectivement réalisé.
Cependant, un petit train peut en cacher un plus grand : le leurre de la réduction du nombre de collaborateurs a caché la sélection — sur base politique — de certains hauts fonctionnaires clés, un véritable spoil system à la française. Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publique, affirmera naïvement au Sénat que le but était de s’assurer que les nouveaux directeurs soient « loyaux » vis-à-vis du gouvernement, et « d’accord avec la politique qu’on leur demande de mettre en œuvre » (sic). Résultat : 87 % des directeurs d’administration seront changés entre 2017 et fin 2020. Qui a parlé de chasse aux sorcières lors de l’époque mitterrandienne ?
La levée de l’état d’urgence
« Je rétablirai les libertés des Français en levant l’état d’urgence à l’automne, parce que ces libertés sont la condition de l’existence d’une démocratie forte. » Effectivement, Emmanuel Macron mettra fin à l’état d’urgence décidé sous François Hollande à la suite des attentats de 2015.
Mais en même temps, il remettra dans le droit commun la plupart des mesures d’état d’urgence. Malheureusement, les nouvelles lois reprises pour lutter contre le terrorisme islamique ne suffiront pas ; elles se succéderont les unes après les autres jusqu’à celles sur le séparatisme, brouillant les messages par d’incessants petits sauts de puce sans vraiment résoudre les causes.
Puis, le 23 mars 2020, Emmanuel Macron fera voter l’état d’urgence sanitaire, qui donne au Gouvernement des pouvoirs exceptionnels, notamment la possibilité d’interdire tous déplacements, réunions, manifestations, ou rassemblements avec ou sans passe sanitaire. Cet état d’urgence particulier sera régulièrement prorogé pour une période de 4 à 6 mois (mai 2020, octobre 2020, juin 2021, août 2021). Et le 11 novembre 2021, il sera carrément prorogé de presque 9 mois : jusqu’au 31 juillet 2022.
Le renouvellement stratégique et tactique des armées
« Les prochaines années seront pour nos armées celles d’un renouvellement stratégique et tactique. Je sais qu’elles y sont prêtes, car elles sont aux avant-postes du monde tel qu’il va. » Il fallait en effet faire quelque chose après les dérives budgétaires constatées sous le quinquennat Hollande. Hélas, ce ne sont que des mots ; car contrairement à ce qu’il nous affirme ce 3 juillet 2017, Emmanuel Macron et Sylvie Goulard avaient déjà décidé (en Juin 2017), une amputation de 2,6 milliards d’euros sur le budget 2017 de la Défense.
Aussi, devant le manque de lucidité d’Emmanuel Macron quant aux besoins évidents des armées, le général de Villiers remue dans les brancards et commence à trop parler. Le 13 juillet, il sera humilié devant ses troupes par le propre chef de l’État avec cette formule : « Je suis votre chef ! Il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique. » Emmanuel Macron venait juste de confondre leadership et autoritarisme, débat public et réflexion stratégique. Le chef d’État-Major des Armées démissionnera avec fracas le 19 juillet suivant et quittera son poste le jour même sous les applaudissements des civils et militaires, lesquels formeront pour l’occasion une haie d’honneur jusqu’à sa voiture.
Au bout du compte, sur la période 2012-2022 – les dix années du couple Hollande-Macron – le déficit d’investissement cumulé dépassera largement les 10 milliards d’euros d’euros ; ce sont autant de moyens militaires qui manquent aujourd’hui ; alors qu’en dix ans, l’accumulation des menaces extérieures et la guerre au Sahel devaient nous inciter à revoir à la hausse – comme tous les grands pays –notre capacité de Défense.
Aussi, quand Emmanuel Macron nous parle de « mort cérébrale de l’OTAN », personne ne comprend vraiment sa stratégie de défense. Est-ce là une nouvelle pulsion des « maux de ses mots » pour tenter de se pousser du col vis-à-vis de ses collègues européens ?
L’endiguement des « grandes migrations »
« Nous devons aussi mieux endiguer ces grandes migrations par une politique de contrôle et de lutte contre les trafics de personnes. Il faut pour cela, de manière coordonnée, en Europe, mener une action efficace et humaine qui nous permette d’accueillir les réfugiés politiques qui courent un risque réel. » Là aussi, il ne se passera finalement pas grand-chose. Le mot « Migration » ne sera employé qu’une seule fois, et les mots « Immigration », « Migrant », et même « Etrangers », ne seront jamais prononcés. C’est vous dire l’intérêt profond pour les « grandes migrations » dont Emmanuel Macron nous parle élégamment !
Reconnaissons qu’Emmanuel Macron ne peut pas faire grand-chose faute de colonne vertébrale sur le sujet : il reste le prisonnier volontaire des traités européens. Le blocage idéologique d’Emmanuel Macron s’applique dès qu’on lui parle « frontières », un vilain mot prononcé juste une seule fois dans ce discours.
Cependant, il aurait pu ne pas signer en décembre 2018 le controversé « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières », dit Pacte de Marrakech, proposé par l’Organisation des Nations Unies. De nombreux pays ont refusé de le signer sans pour autant se mettre au ban de l’humanité : Autriche, Australie, Italie, États-Unis, Israël, Suisse, ou Russie par exemple ; mais aussi des pays de l’Europe de l’Est : Bulgarie, Croatie, Hongrie, Pologne, Serbie, Slovaquie, République tchèque, République dominicaine…
Le bilan de ces politiques est assez clair : selon l’Insee, « Pour l’année 2020, 6,7 millions d’immigrés vivent en France, soit 10,2 % de la population totale. 47,5 % de ces immigrés vivant en France sont nés en Afrique. 32,2 % sont nés en Europe. 2,5 millions d’immigrés, dont 36% d’entre eux, ont déjà acquis la nationalité française. Avec les personnes immigrées, au total 8,5 millions de personnes vivant en France sont nées à l’étranger, soit 12,7 % de la population. » À cela se rajouteraient environ 450 000 clandestins permanents, et 50 000 mineurs isolés. Un processus quasiment irréversible est en marche depuis trois générations. La bonne grosse poire française s’est vite transformée en nèfle fripée : si cela continue, elle sera bientôt blette.
La refondation de l’Europe
« La construction européenne est aujourd’hui également […] fragilisée par la prolifération bureaucratique, par le scepticisme croissant qui en découle. […] D’ici la fin de l’année, sur ces bases, partout en Europe, nous lancerons des conventions démocratiques pour refonder l’Europe. » Quelle envolée ! L’Europe est le thème central d’Emmanuel Macron : sa vocation, son credo, sa passion. Des constats alarmants de la bouche même de l’europhile béat… Bien entendu, il n’y aura ni convention démocratique ni refondation européenne ! Du vent, du vent, du vent…
Nous verrons ensuite qu’aucune des propositions de réformes structurelles de l’Europe ne sera adoptée pendant son quinquennat : ses discours d’Athènes deux mois plus tard et celui de la Sorbonne en octobre 2017 resteront au placard de l’histoire. La seule réforme structurante d’inspiration macronienne sera celle relative aux « garanties d’emprunts et subventions » versées dans le cadre de l’aide à la relance européenne. En effet, suite à la crise sanitaire, un nouveau moyen sera imaginé pour lier un peu plus la France à l’UE : pour recevoir 40 milliards d’euros de subventions, la France garantira 60 milliards d’euros, et payera 17 milliards d’euros d’intérêts si des États venaient à défaillir financièrement.
Soyons persuadés que l’inflation – telle la patrouille – rattrapera assez vite le très haut-fonctionnaire Macron lors de la crise financière qui semble se profiler à l’horizon 2023/2204 : à force de tout taxer, nous allons devenir vraiment pauvres.
L’heure du bilan
Aucune réforme structurelle décrite dans ce discours ne verra le jour pendant ce quinquennat : ni les propositions essentielles exposées ici ni les sujets d’ordre plus mineur que je n’ai pas pu évoquer. Par contre, les réformettes et effets de manches seront légion : l’accumulation des lois a rendu la société pour un grand nombre de Français, plus complexe et moins attirante. Fonctionnaire un jour, fonctionnaire toujours ne dit-on pas dans les couloirs du MEDEF ? Pourtant, il nous affirmait dans ce discours : « Que l’on se garde des demi-mesures et des aménagements cosmétiques. » Et quant à « l’optimisme » et « l’espoir »… Toujours les maux de ses mots… Macron le velléitaire, tel est dorénavant son surnom : on attendait un révolutionnaire bon teint, on a eu un velléitaire très moyen.
Le macronisme révélé par les mots…
Certains lecteurs seront étonnés par l’absence de propositions sur la vie quotidienne des Français : un Président français se doit en effet d’apporter des réponses de long terme, ne serait-ce qu’en pointillés. Hélas, la réponse nous est apportée par l’analyse sémantique du discours : elle montre les préoccupations réelles d’Emmanuel Macron en ce 3 juillet 2017 : si le mot « Nous » apparait 224 fois et « Je » 76 fois dans ce discours, il convient de rapprocher ces occurrences des mots « Souveraineté », « Indépendance », et « Compatriotes » qui n’ont été prononcés que trois fois chacun. Mais surtout, la vérité est que certains mots n’ont même jamais été prononcés ce 3 juillet 2017 tels que : « Concertation », « Déclassement », « Niveau de vie », « Salaire », « Rémunération », « Pouvoir d’achat », « Immigration », « Migrant » ; et même « Violence », « Prison », « Insécurité », ou « Police ». Les mots disent aussi les mots.
Pourtant, Emmanuel Macron souligna pendant son discours cette posture devenue miroir prémonitoire d’un triste bilan : « La France n’est pas un pays qui se réforme, c’est faux, pardon, Monsieur le Premier ministre, de vous l’annoncer aujourd’hui devant le Congrès. La France est un pays qui résiste aussi longtemps qu’il est possible de ne pas réformer, un pays qui se cabre quand on lui parle mal, quand on ne lui explique pas, quand on ne le respecte pas, quand on ne parle pas à sa dignité et à son intelligence ! » On mesure à ces dernières paroles, la profondeur du « puits à macronitudes » dans lequel Emmanuel Macron est tombé à l’insu de son plein gré.
Retrouvez cet article d’Yves Gautrey publié dans Front Populaire ICI