Nous connaissions le crooner, chanteur d’antan à la voix grave et charmeuse, ancêtre du latin lover ; dorénavant, nous aurons le « macrooner », substantif dérivé du verbe « macroner », nouveau néologisme anglo-ukrainien s’appliquant au président Macron et qui signifie en bon français : « être dans l’émotion, mais ne rien faire ».

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Décidément, ces Ukrainiens sont de fins observateurs de la vie politique française de ce quinquennat, durant lequel nous avons tous constaté — outre la mue de sa voix — la façon dont le président français ne cessait de s’attendrir devant le moindre événement ; et ce — hélas — sans jamais réellement réussir à modifier le cours de l’événement à l’origine de son émoi. De là à parler d’un looser, il n’y aurait qu’un pas, mais que mon respect pour la haute fonction présidentielle m’interdit de franchir.
Cependant, pour asseoir cette belle posture de macrooner, encore faut-il que la parole politique suive une logique théâtrale. Il est rare en effet que l’improvisation d’un jeu de scène l’emporte sur le travail de l’acteur. Le vrai style ne s’improvise pas : il se démontre, par le geste éprouvé, l’attitude réitérée, la posture étudiée ; et les circonvolutions oratoires de l’artiste — parfois très inattendues — ne sont alors qu’élégantes arabesques, conséquences facétieuses de ces nombreuses répétitions préalables. Attention, n’est pas macrooner qui veut : le genre se travaille professionnellement !
Alors, suivant le bon vieux principe du « grand diseur, petit faiseur », notre macrooner national, joignant toujours le geste poli à la parole cruelle et la posture élégante aux mots assassins, ne cessera de vouloir nous bouleverser émotionnellement en pratiquant la variante d’un célèbre jeu de mains pour enfants : le chifoumi. Il en a réinventé la règle ; du fameux « papier-pierre-ciseaux », il est passé au discret « bluff-bagou-épate » ; jeu dans lequel le bluff l’emporte sur le bagou, mais s’efface devant l’épate ; alors que le bagou gagne toujours face à l’épate. Et vice versa.
Étudions cette variante politicienne du chifoumi qu’Emmanuel Macron — bateleur professionnel éprouvé, émérite, et absolument hors classe — pratique avec assiduité depuis ses premiers cours de théâtre à Amiens.
Le bluff « j’affirme ! » : arrogance, infatuation et prétention
Emmanuel Macron a porté le bluff en art majeur. S’il est à bout d’arguments, alors tout est bon pour asséner sur la tête de ses adversaires le bon mot piquant, le faux parler-vrai, la punchline agressive, quand ce n’est pas la sempiternelle invective. Il a fait des émules. On peut voir cette technique à l’œuvre sur les chaînes d’information continue, lors des incessants va-et-vient de ces petites célébrités politiques issues de LREM. Avez-vous d’ailleurs remarqué qu’elles sont toutes sur le même modèle d’expression que leurs homologues de LFI ? Le verbiage péremptoire. Le grand bluff permanent est là : abrasif, invasif, destructif ! Le verbe haut et le ton cassant ont remplacé l’analyse fine et la nuance du raisonnement.
Lors de ces joutes oratoires, nous assisterons à la surenchère permanente des éléments de langage convenus concoctés par de vieux crocodiles versus les affirmations cassantes des jeunes sachants des deux sexes. Cette engeance — consubstantielle au progressisme mitterrandien, jospinien, fabiusien, hollandais, tous confondus aujourd’hui dans la voiture-balai de l’extrême centre qu’est devenu le macronisme — a un comportement unique : elle enivre de paroles l’auditoire en mélangeant habilement concepts et petites phrases pour soutenir servilement l’actualité changeante du moment, et non tenter d’expliquer les situations par un raisonnement s’appuyant sur le réel et les faits.
Face à ces macronistes, tous les faux experts à la langue bien pendue, journalistes idéologisés par nécessité vitale et autres éditorialistes à l’écharpe rouge tournoyante, leur renvoient complaisamment la balle : ils bluffent aussi. Rien n’est plus beau que de les voir à leur tour jouer sur les mots et l’émotion en détournant des idées pourtant simples et pratiques ! Depuis le début de l’entre-deux-tours, leurs visages ironiques et moqueurs animent avec joie la grande kermesse anti-Le Pen, en tentant de faire oublier la vague onctueuse et hypocrite de la « bonne droite » qui porta la candidate au deuxième tour et fît chuter Éric Zemmour dans les affres de l’extrémisme. Et le 24 avril à 20 heures, ils sonneront dans un concert de ricanements entendus, l’heure de la soupe médiatique !
Pour la qualité de la vie politique et de la démocratie, espérons qu’ils seront un jour balayés par le souffle d’une démocratie retrouvée, afin que revivent de vrais débats respectueux, à mi-chemin entre expérience démontrée et hauteur de vue suffisante. Le rêve permet l’espoir…
Le bagou : « je jacte ! » Bavardages, papotages et bla-bla-bla quotidiens
Même s’il n’y a rien d’important à commenter et pas grand-chose à expliquer, le candidat Macron interviendra quand même pour parler du beau temps tout en regrettant la pluie. Du Grand Débat à l’itinérance mémorielle, en passant par les visites « impromptues, mais prévues à l’avance » ; puis, de commémorations tenues invariablement dans la cour des Invalides en l’honneur d’artistes décédés, jusqu’aux mises en scène vaudevillesques de nos drames humains — autant de vrais maquereautages des morts à des fins politiques —, il labourera la France avec ce bagou incessant qu’on lui connaît bien, quitte à se contredire la semaine suivante.
Il ne rate aucune occasion : profitant de l’histoire de France, d’un lieu ou d’un moment, tout est bon pour grappiller des voix. Lors d’une déambulation totalement maitrisée par un service d’ordre impeccable, s’il parle à une femme voilée croisant son chemin — ô surprise, par le plus grand des hasards et devant toutes les caméras opportunément prépositionnées —, il s’assurera immédiatement qu’elle est bien féministe comme lui ; une nouvelle évidence à digérer. S’il n’a pas d’arguties tranchantes à opposer lorsqu’un enseignant l’interpelle, il lui susurrera douceâtrement et avec mépris : « Vous avez une drôle d’idée du débat citoyen ». Si dans la foule strasbourgeoise une voix s’élève plus forte que les autres contre son bilan, il le raillera façon banlieue, arsouille ou racaille — c’est comme vous voudrez — avec cette phrase étonnante : « Ça se mélange pas mal dans votre tête ! ». Que dire aussi de cette façon de toujours apostropher des inconnus dans la rue, en les prenant par l’avant-bras, avec cette éternelle formule — familière, machinale et insincère — qui ne veut rien dire : « Alors, comment ça va ? » Et que penser de ce nouveau slogan de campagne « Nous tous », désignant clairement à la vindicte ceux qui ne partageraient pas le « nous » macroniste : il y aurait donc les « nous » et en face, tous les autres… ?
Toujours aussi adroit pour détourner une nuance, placer une petite phrase, émettre un avis qu’on ne le lui demande pas, le jeu de scène du candidat Macron a pour but — à défaut d’avoir raison — de toujours asséner le dernier mot. Et si ce n’est possible, il appliquera systématiquement le stratagème N° 18 de Schopenhauer (cf. son ouvrage L’art d’avoir toujours raison) : couper court au débat en l’orientant sur un autre sujet, souvent plus léger. Et si cela ne suffit pas, il optera pour le stratagème N° 8 : fâcher l’adversaire en espérant le déstabiliser. Et enfin, à bout de souffle, il utilisera l’ultime stratagème — magique, subtile et dévastateur, le plus macronien de tous —, le stratagème N°25 : trouver une seule exception au raisonnement de son adversaire, et le généraliser en règle absolue. C’est ainsi qu’il stigmatisera systématiquement ses adversaires politiques.
À l’instar de la chaîne britannique « garantie sans Brexit » qui, comme son nom l’indique, bannissait tout commentaire sur le Brexit, il faudrait créer une grande chaîne du service public « garantie sans Macron » : elle s’interdirait de diffuser le moindre bagou présidentiel et se contenterait de relayer les informations officielles venues de l’Élysée ! Comme déjà écrit : le rêve permet l’espoir.
L’épate : « je stupéfie ! » Revoilà Belmondo et son tac-tac badaboum
Nous avons constaté à maintes reprises que le macrooner aimait étonner, surprendre, ébahir par les mots, ce que certains ont qualifié — à tort — de caractère disruptif ou de soi-disant langage pragmatique ; tout cela n’est que l’expression d’un cynique voulant absolument laisser une trace positive dans l’Histoire : à défaut d’actes forts, le candidat Macron tentera de se faire remarquer en stupéfiant son monde par la posture des mots. Et leur imposture aussi.
Que voulez-vous, il est comme ça : Il aime la macronitude, c’est-à-dire l’expression singulière qui le distingue des autres par l’emploi de mots qui attisent l’ambiguïté d’une situation et mène à l’éblouissement de ses pauvres interlocuteurs du moment, comme par exemple : « saxifrage, ipséité, égotisme, amish »… Mais aussi : « pognon, douille, bordel, j’emmerde » ! Le en même temps permet la confusion opportuniste de la moindre théorie avec tous les excès de langage. Une formule dont il a le secret pourrait parfaitement résumer cette méchante habitude : l’exaspération de son « moi » est à son « surmoi », ce que l’inflammation de la prostate est à l’urgence urinaire ; autrement dit, ce besoin pressant qu’il a de toujours vouloir parler en surprenant l’autre.
C’est ainsi que nous verrons le candidat Macron au summum de l’épate pendant le débat avec Marine Le Pen. Ses interventions ciselées et réfléchies se transformeront par forfanterie verbale ou crânerie littéraire — personne n’a su vraiment définir ce point avec précision —, en verbiages, gasconnades, bavardages, papotages, fanfaronnades, tartarinades, rodomontades, galéjades. Et finalement, l’auditoire finira par ne retenir que le seul petit détail, celui qui agace, énerve, choque, et surtout détruira l’adversaire. Ce sera à l’opposé de ce furent ses formules célèbres « gaulois réfractaires », « les gens qui ne sont rien », « traverser la rue », etc., mais l’épate pourrait être soulignée par l’emploi d’expressions habituellement réservées à la gauche, telles que « raciste sur le fond », « fasciste dans le programme » ou « future dictature molle ».
Mais soyez certains que ressortira du plus profond d’Emmanuel Macron, cet autre besoin insatiable, cette soif inextinguible, cette envie boulimique dont il souffre chaque jour : être aimé quoi qu’il en coûte. Et pour adoucir sa souffrance, il lui faudra chaque jour, affirmer haut et fort, parler beaucoup pour se soulager et surtout, épater la galerie comme il le fit encore à Marseille en parlant d’un nouveau quinquennat « qui sera écologique ou ne sera pas », oubliant de rappeler la condamnation de l’État français pour inaction climatique en décembre dernier…. Mais l’épate du personnage va plus loin encore : le Macron 2 nous parla, même dimanche 24 avril au soir, d’écologie façon Jean-Luc Mélenchon, afin de faire oublier l’échec de sa Convention Climat et la mise au placard discrète du référendum sur l’écologie que promettait pourtant Macron 1er six mois plus tôt ! Et qui peut croire qu’un souverainiste européen puisse un jour devenir un écologiste français respectueux de la tradition et des mœurs de ses concitoyens ? Et enfin, que dire de ses gesticulations ridicules à propos de la guerre Ukraino-Russe, contre laquelle pas une seule proposition concrète de résolution diplomatique du conflit n’a été mise sur une quelconque table de négociation européenne ?
Plutôt que de jouer au bateleur de service durant « la grande quinzaine commerciale des antifa », un Président — encore en exercice — ne devrait parler qu’à bon escient, avec modestie et surtout avec constance : après tout, c’est bien la seule raison pour laquelle il n’a pas fait campagne durant ces derniers mois, au prétexte qu’un chef de guerre français se devait de sauver le monde tous les jours. Il essaya cette méthode le 24 avril au soir : malheureusement personne ne le crut.
Le rêve permettait l’espoir… Mais nous le savions depuis longtemps. « Bluff-bagou-épate » : c’est le chifoumi Macron ! Le jeu de scène d’un illustre vendeur à la sauvette dont la petite cagette en bois déborde de mots et de bons sentiments : un macrooner, diraient certains. Nous le vérifierons encore pendant les années à venir.
Yves Gautrey
Article publie dans Front Populaire le 27 avril 2022