À peine la crise Covid terminée, le monde politique au pouvoir pérorait sur le remarquable rebond de la France fin 2021 et début 2022. Or, il se trouve que les derniers chiffres 2022 sont têtus : les perspectives économiques viennent de s’assombrir et la rigueur pointe le bout de son nez.
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La stagflation arrive : le vilain mot est lâché, c’est-à-dire la stagnation de l’activité économique (croissance économique faible, chômage élevé, progression des faillites d’entreprises) associée à l’inflation directe ou induite (hausse des prix à la consommation des ménages et des coûts de production).
PIB en baisse, inflation, investissement, déficit commercial, etc., rien ne va plus ! Tous les indicateurs de l’économie française viennent de virer au rouge au cours du 1er trimestre 2022 : curieusement personne ne l’évoquait vraiment durant l’élection présidentielle ; même si intuitivement, nombre d’électeurs pressentaient les conséquences du « quoi qu’il en coûte ». Voyons les faits.
La planche à billets a fait flamber l’économie française et la dette française dépasse dorénavant les 2 800 milliards, soit 114 % du PIB (l’Allemagne est à 79 %… ce qui lui laisse quelques réserves pour les dix à venir). Compte tenu des importations en pétrole et gaz, de nos besoins de financement pour alimenter « l’État-nounou » et du ralentissement de l’économie mondiale, ce taux va croître vers les 120 % du PIB. Nous continuerons à emprunter notre milliard par jour avec un taux d’intérêt décidé à Francfort. Remarquez bien que ni Bruxelles ni l’Allemagne n’ont contesté notre stratégie (nous verrons plus loin pourquoi) ; bien au contraire, puisque l’indécrottable haut-fonctionnaire dépensier Emmanuel Macron, après avoir endetté la France de plus de 600 milliards en 5 ans, a su convaincre l’Union européenne de lancer en 2021 un grand plan de relance de 750 milliards d’euros.
L’inflation atteint des sommets jamais vus depuis fin 1985 : les prix à la consommation ont déjà augmenté annuellement de + 4,8 %. Dans la zone euro et selon Eurostat, l’inflation sur douze mois est à 5,9 % en février (0,9 % un an auparavant). Elle va tendre dans les prochains mois vers les 8 %. Plus dangereux encore, les prix à la production ont atteint, selon l’INSEE, un sommet historique en France : + 24 % sur un an. Cerise sur le gâteau, la dépréciation lente, mais bien réelle de l’Euro par rapport au dollar va contribuer à renforcer l’inflation importée : en raison des chaines de valeurs de l’économie mondialisée, les surcoûts induits constitueront très vite le vrai choc économique pour la France.
Le déficit du commerce extérieur a dépassé les 85 milliards en 2021. Mais surtout, les parts de marché de l’industrie française diminuent inexorablement année après année, même en Afrique : tous les secteurs industriels sont dorénavant impactés, y compris notre fleuron historique, l’agroalimentaire, qui se retrouve déficitaire depuis 2019 vis-à-vis des pays de l’Union européenne. Les normes européennes et notre sacro-sainte volonté de les transcrire de façon excessive dans nos lois expliquent grandement cette situation.
La baisse du PIB s’est amorcée. Au 1er trimestre 2022, le PIB français recule de 0,5% sous un double effet : la consommation des ménages a baissé de 1,3%, tandis que l’investissement dans le logement refluait de 0,1%. En parallèle, l’investissement des entreprises progresse faiblement : + 0,7 % au premier trimestre 2022. Cette triste performance globale est à comparer à celle des États-Unis (-0,4%), de l’Italie (-0,2%) et de l’Allemagne (+0,2%)… mais après une chute spectaculaire de -0,7% au dernier trimestre 2021, ce qui signifie en fait un recul effectif du PIB allemand de 0,5% sur la période. Du rarement vu. Est-ce là le signe avant coureur d’un retour à la rigueur des années sombres, celles des années 1980 ?
Le déclassement de la France va s’accentuer avec la crise à venir
L’Occident vient d’entrer dans une phase économique critique : la stagflation, antichambre de la récession, est là ; le recul du PIB sur deux trimestres consécutifs est déjà dans toutes la tête de tous les économistes. La France va certainement subir le cercle vicieux bien connu, le cycle infernal de la récession, dont nous ne pourrons pas sortir facilement : endettement, inflation, remontée des taux d’intérêt, frein des dépenses des ménages, baisse de l’investissement des entreprises, récession.
Outre l’hémorragie financière incontrôlée telle que décrite plus haut, nous assistons déjà (en raison de l’inflation persistante) à une baisse du pouvoir d’achat des ménages français et (en raison de la détérioration progressive de notre compétitivité sans possibilité de dévaluation) au ralentissement de l’activité des entreprises. Aussi, la perspective électoraliste d’une croissance soutenue et dynamique, telle qu’annoncée par Emmanuel Macron et Bruno Le Maire au cours de la campagne électorale, s’éloigne. Si la consommation des ménages régresse au deuxième trimestre 2022, alors nous entrerons en récession ; et aussi, cela va sans dire, dans une période d’instabilité sociale dès septembre prochain.
La politique de Macron 1er — le « quoi qu’il en coûte », puis la distribution de chèques électoralistes — n’aura eu qu’un temps : celui d’une élection présidentielle prévue d’avance. Tous les économistes le savent : pour affronter l’inflation, il faut refroidir l’économie en montant les taux d’intérêt des emprunts d’État et des particuliers ; le but est de ralentir la croissance potentielle et donc casser les hausses de prix. Mais n’allez pas surtout penser que la Banque Centrale Européenne continuera à garantir si facilement l’argent magique dépensé sans compter par les pays du « Club Med », alors que les « pingres » de l’Europe du Nord ont fait tant de sacrifices pour assainir leurs économies. Leur intérêt sera au contraire de tenir la France « en laisse courte », afin d’approfondir le processus de fusion européenne, tout en grignotant ce qui nous reste de notre puissance passée : un siège à l’ONU, notre industrie de Défense, et l’arme de dissuasion nucléaire ; accessoirement, les barrages hydrauliques et EDF. Ce sera dorénavant donnant-donnant : de vraies réformes contre des taux d’intérêt acceptables.
La guerre en Ukraine n’est pas à l’origine de notre situation économique
Aujourd’hui, la Russie a bon dos d’avoir cassé la croissance mondiale et provoqué l’inflation : elle est devenue la tête de Turc idéale pour les économies occidentales défaillantes. Or, les fondamentaux négatifs existaient bien avant la guerre : dettes et inflation notamment. Mais il fallait justifier le tournant de la rigueur qui demain s’imposera. Et si nous étions un peu complotistes — ce que nous ne sommes pas —, c’est même à se demander si l’Occident — et surtout l’Europe et l’OTAN — n’a pas un peu poussé au crime pour que cette guerre devienne inévitable, monstrueuse, et maintenant persistante. Bruno Le Maire, jamais avare d’une macronitude, ne s’en est d’ailleurs pas caché quand il déclara : « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe […] Le peuple russe en paiera aussi les conséquences. » Un propos prémonitoire et sans doute performatif car il risque bien de se retourner très vite contre nous : à force de voir Papy Joe jouer avec des allumettes russes, la guerre mondiale va finir par arriver. Pour l’instant, les États-Unis vont toucher les premiers dividendes de la guerre grâce à l’exportation de leur gaz de schiste, du pétrole et de l’armement à destination de tous les pays de l’OTAN ; et de l’Ukraine.
Face à l’activisme militaro-industriel washingtonien — « l’impérialisme américain » est de retour —, l’Europe est donc et pour longtemps, à la peine dans tous les domaines géostratégiques, y compris sur son propre continent. Elle vient d’admettre officiellement son statut de vassale des États-Unis. Ce n’est pas un scoop : juste une régularisation de pure forme ! La France apparaît totalement absente de la moindre initiative diplomatique permettant une résolution du conflit : on se contente de mots et de bons sentiments ; comme si Macron 1er et Macron 2, ainsi que madame von der Leyen, avaient décidé dans leur coin que Joe Biden était dorénavant le patron de l’Europe.
Comment résister au pessimisme qui va nous reprendre ?
Les mesures à prendre par Macron 2 sont parfaitement connues, mais totalement à l’inverse des promesses électorales de Macron 1er :
Il y aura une absolue nécessité d’enrayer la spirale « hausse des salaires versus hausse des prix » ; il faudra donc privilégier systématiquement une baisse cachée — mais bien réelle — du pouvoir d’achat des classes moyennes, tout en acceptant quelques hausses limitées aux secteurs trop tendus. Mais dire cela est d’une parfaite incongruité au pays de l’assistanat d’État érigé en dogme politique incontournable.
L’ambition d’assurer la relance par l’investissement productif avec une politique industrielle forte sera le deuxième impératif, car les start-up chères à Emmanuel Macron ne donneront pas de premiers résultats avant cinq ou dix ans. Bien entendu, les syndicats y seront opposés par principe puisque le leader de la CGT nous dit déjà avec ses yeux « keynésiens » : « les urnes, c’est important ; mais la rue c’est essentiel ». Dans ces conditions, et faute de fermeté du pouvoir, la réforme des retraites pourrait bien attendre 2027…
La volonté de redéployer nos compétences vers l’emploi industriel, tout en rénovant vite et de fond en comble, notre système éducatif. La seule règle devrait être de prendre exemple sur les meilleurs standards mondiaux ; et non, niveler les Français par le bas — et les mini-jobs — dans le but d’éviter une hypothétique guerre civile. Malheureusement, le wokisme et la cancel culture veilleront au grain.
Macron 2 aura-t-il le courage de suivre quelques principes éprouvés ?
La réponse est dans la question comme on dit. Il fera comme firent Valéry Giscard d’Estaing lors des chocs pétroliers et François Mitterrand à la suite du désastre économique français : on se souvient de leurs deux Premiers ministres, Raymond Barre, nous martelant en 1976 : « La France vit au-dessus de ses moyens » et Laurent Fabius, nous susurrant en 1984 : « Il faut faire passer le développement économique avant les préjugés idéologiques. » Cinquante ans plus tard, ces mots résonnent étrangement, car de réformes économiques de fond, il n’y en eu point.
Emmanuel Macron nommera probablement un ou une Premier ministre « rigoureux, mais social et raisonnable » ; et pour faire bonne figure, teinté d’une « vision écologique pragmatique, mais ambitieuse ». Des mots, des mots… Aussi, n’attendez donc pas grand-chose de neuf sous le ciel de la crise économique qui menace. Sous la pression de l’Europe, Macron 2 utilisera juste le petit cache-sexe politique habituel, celui qui dissimule — si mal — la politique de rigueur qu’il va devoir appliquer à la France, avec les résultats que nous connaissons depuis Raymond Barre et Laurent Fabius : la conjoncture internationale nous sauvera peut-être encore du gong final ; sauf — et cela fait toute la différence — que nous sommes dorénavant liés à l’euro. Pour combien de temps encore ?
Et comme à l’accoutumée, nous serons contraints au nom de l’Europe de nous éloigner — encore un peu plus — d’une « certaine vision de la France » ; c’est-à-dire de sa souveraineté et du bon sens pour soi. À quand le prochain tournant de la rigueur ?
Yves Gautrey
Article publié dans le magazine Front Populaire le 3 mai 2022.