Warren Buffett nous l’enseignait : « C’est quand la mer se retire que l’on voit ceux qui nageaient sans maillot de bain. » Et cette année, comme à chaque nouvelle composition d’un gouvernement, la liste des petits baigneurs dépités s’est encore allongée.
Après la démission de Jean Castex, on s’attendait bien sûr à certains départs plus ou moins volontaires : c’est la vie des ministres, un jour on l’est, un autre, on l’est plus. Mais avez-vous remarqué cette année la vitesse à laquelle ils sont déjà oubliés, et ce dès la publication du nouveau gouvernement, tous ces hommes et femmes politiques, traumatisés par un téléphone qui, désespérément, resta silencieux ?
Il y eut ceux dont la bouée était percée
Exit donc tous ceux qui iront grossir les rangs des « has been », mais qui pourront toujours dire avec fierté « j’y étais ! », et ce, sans que personne ne leur demande de comptes : Frédérique Vidal (Enseignement supérieur), Barbara Pompili (Transition écologique), Jean-Baptiste Djebbari (Transports) et Cédric O (Transition numérique).
Adieu, ceux qui, n’ayant pas forcément démérité aux yeux du Prince, furent quand même recalés par ce dernier au nom des équilibres politiques du moment : Julien Denormandie (Agriculture), Jean-Michel Blanquer (Éducation nationale), Jean-Yves Le Drian (Europe + Affaires étrangères), Florence Parly (Armées).
Au revoir celle qui, bien qu’ayant si fidèlement servi son président, partira sans gloire ni honneur : Marlène Schiappa (Citoyenneté), cette voix tout en nuance et délicatesse que l’on reverra sans doute avec d’autres people sur une chaîne de télévision ; ou qu’on lira dans l’un de ses romans polissons dont elle a le secret.
Notons au passage, qu’après s’être cru premier ministrable, Olivier Véran se verra recyclé de justesse avec un petit accessit ministériel comme ministre délégué (relations avec le Parlement) : le faire partir aurait fait tache sur la « grande et bienveillante » stratégie anti-Covid du Président Macron. Alors comme on dit « faute de grive, on mange des merles », même si, lors des passations de pouvoir, son regard en disait long sur son appétit contrarié.
Mais n’ayez crainte, tous seront vite recasés dans les arcanes de la République, ou dans le privé — grâce aux relations de Monsieur le Prince des prébendes —, ou dans leurs Corps d’origine — par la magie de la fonctionnarisation de la société. Dans trois mois, nous aurons oublié leurs prénoms ; dans six, leurs fonctions ministérielles ; dans douze, leurs têtes de vainqueurs d’un jour. Et en 2024, il ne restera plus que de vagues souvenirs — à peine quelques réminiscences d’un gouvernement évanescent — tant fut dérisoire leur passage dans l’histoire de ce quinquennat. Qui se souvient par exemple de Laura Flessel, Annick Girardin, ou Jacques Mézard, ces valeureux ministres du gouvernement Philippe I et II ? Qu’ont-ils laissé de grand derrière eux ?
Puis, il y eut tous les déçus du grand jusant
Pour ce gouvernement Borne I — car à n’en pas douter, il y aura un gouvernement Borne II en juin —, la rumeur courait depuis des jours : on supputait que Catherine Vautrin, recalée au dernier moment pour le poste de Premier ministre, pourrait prendre la tête d’un grand ministère des Armées ; son passé chiraquien l’aura desservi. Idem pour Marisol Touraine, l’ex-égérie du ministère de la Santé sous François Hollande, écartée de toutes fonctions malgré son appel du pied indécent lors de la cérémonie d’investiture d’Emmanuel Macron : sans doute, quelqu’un à l’Élysée s’est-il soudain souvenu de l’épineuse affaire des stocks de masques chirurgicaux — bizarrement disparus — qui aurait pu ressortir un jour. Pour le ministère de l’Écologie, on entendit aussi parler de Pascal Canfin, l’ancien directeur général de WWF France, celui qui, en février 2017, avait réussi à faire dire par Emmanuel Macron une macronitude restée célèbre : « Non, l’argent ne se mange pas, il ne se respire pas, il ne s’aime pas… » Itou pour Arnaud Robinet, maire de Reims et député LR de la Marne : il se fit souffler le ministère de la Santé après avoir pourtant renié publiquement, et sans aucune fausse honte, son vote contre le « mariage pour tous ». Sans doute, une autre victime de la discipline de groupe parlementaire sacrifiée à l’insu de son plein gré sur l’autel des minorités actives. Pareillement, Rachel Khan qui fut écartée du ministère chargé de la Lutte contre les discriminations : probablement insuffisamment racisée après ses propos hostiles envers la famille Traoré en novembre 2021 ; il y a des totems qu’on ne bouscule pas, même au nom de la liberté d’opinion.
Ensuite, il y eut tous les traîtres que l’on découvrit à l’étale
C’est-à-dire tous ceux qui, batifolant dans l’eau sans maillot de bain tout en se pavanant devant les caméras de télévision, ne se rendirent pas compte qu’en Macronie, la marée descend très vite.
À la gauche du Prince, il y eut François Rebsamen, maire de Dijon : après avoir rallié la « cause », il accueillera Emmanuel Macron le lundi 28 mars lors du premier déplacement de campagne du président-candidat ; le soleil bourguignon brilla ce jour-là, mais l’espoir fut bref. Tout comme pour Zineb El Rhazoui, pourtant désignée candidate probable pour la circonscription des Français du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest ; sans doute, quelques excès de langage jugés trop vulgaires pour le 55 Faubourg. Il n’y eut point de miracle non plus pour Amine El Khatmi, le président du « Printemps républicain », celui qui devait affronter avec Renaissance le transfuge du 93, Aurélien Taché — quel miracle ! — NUPES compatible : sa glose anti-souverainiste ira se perdre dans les sables mouvants de la politique. Enfin, si toutes les chaînes d’info se gaussaient d’un Manuel Valls cherchant par tous les moyens à se faire entendre du Président, les mêmes journalistes, par respect sans doute pour l’ex-catalan d’adoption qu’il fut, se contentèrent d’une brève annonce : Manuel Valls, sous les couleurs de Renaissance, fera une ultime tentative pour gagner la circonscription des Français d’Espagne, d’Andorre, de Monaco et du Portugal (soit environ 16 000 votes au 1er tour 2017…). Valls exaucera ainsi son fantasme personnel : faire de la politique sur les deux versants des Pyrénées ; sur un malentendu, ça peut marcher.
À la droite du Prince, il y eut le moment Karl Olive. Après une longue carrière politique sous les couleurs de l’UMP, puis des LR, il finira par franchir le Rubicon en juin 2019, pour rejoindre LREM et le possible nirvana 2022 des ministrables. On l’espérait ministre des Sports ou de la Ville. Mais non, il devra attendre qu’une place ou un strapontin se libère après les législatives. On ne sait jamais, sur un coup du sort, là aussi ça peut marcher… Un peu avant, on voyait Christian Estrosi à l’Intérieur, Éric Woerth au Budget et pourquoi pas Guillaume Larrivé la Justice, ou même Renaud Muselier aux Territoires. Pour eux, l’espoir tourna rapidement au ridicule. Comme tant d’autres.
Enfin, au bout du bout de la droite, on a finalement échappé à celui qui, chaque jour, ou presque, ne cessait d’écharper Éric Zemmour et pourfendait sans relâche Marine Le Pen : le fameux Robert Ménard ! Son bagout fit tellement de bien à la bien-pensance française de tous bords, qu’une seule question dorénavant se pose : pour combien de temps encore échapperons-nous à Bob, devenu mercenaire du macronisme ?
Notons in fine qu’il n’y eut aucun accent chantant ni de gauche ni de droite parmi les ministres nommés : les territoires — comme on dit à Paris — ont tout simplement été oubliés. Auront-ils droit à un petit dédommagement lors de la deuxième fournée, celle des nominations aux secrétariats d’État ?
Souhaitons donc à tous ces déçus de la grande marée, au moins un secrétariat d’État, même si ça fait moins chic dans les dîners en ville. Mais peut-être qu’un vent joyeux leur caressera le visage — comme sait si bien le faire Emmanuel Macron — à l’issue du deuxième tour des élections législatives ou pendant le quinquennat. Et pourquoi pas, sur un énième malentendu, ça peut encore marcher : cinq ans, c’est parfois très long.
Et après la grande marée, il y eut le tsunami
Ou plutôt, deux toquades, lubies, foucades d’un président dont la boussole gouvernementale a soudainement perdu le nord. En effet, il restera dans les annales macroniennes ces deux incroyables scènes d’anthologie, dignes d’une monstrueuse partie de jeu d’échecs politicienne.
D’abord, le coup du « petit roque », celui où l’on voit Roselyne Bachelot remplacée par Rima Abdul Malak au ministère de la Culture. L’une, grande bourgeoise et amatrice d’opéra, qualifiait encore le 29 mars 2022 le bilan culturel d’Emmanuel Macron d’« inédit » et d’« impressionnant ». Elle n’avait pas réalisé qu’en fait de bilan, ce fut un ratage complet malgré le déversement de subventions, aides et soutiens en tous genres. En cinq ans, quinze milliards d’euros déversés dans la Culture par celui qui voulait « enfourcher le tigre ». Pour quoi faire ? Tandis que sa remplaçante — une Franco-Libanaise, passée du statut de directrice de l’ONG « Clowns sans frontières » à celui de conseillère culturelle à l’Élysée pendant la crise sanitaire — nous affirmait lors de la passation de pouvoirs au ministère de la Culture : « Je me réjouis de pouvoir travailler avec Pap Ndiaye. » Déjà, nous pressentons le pire pour la culture française.
Et puis, il y eut le « grand roque », la surprise du chef, la tentative de mise en échec et mat d’un certain mélenchonisme prétentieux ; le coup qui ne se joue qu’une fois. Exit Jean-Michel Blanquer, le digne représentant de la droite républicaine, dorénavant désavoué sur le fond, devenu le symbole d’une tentative de réformes éducatives en grande partie ratées. Voici venu Pap Ndiaye, le chantre du progressisme américain, adulé par la gauche progressiste et extrême, qui deviendra, soyons-en certains, le symbole de ce que sera la France de demain : une terre de racialisation des rapports humains dans une société française communautarisée. Autrement dit, nous passerons d’un système éducatif qui prônait la méritocratie républicaine — c’est-à-dire les mêmes chances pour tous — à un système inégalitaire où l’origine, la communauté et la couleur de peau prendront le pas sur la performance individuelle, la nation et l’assimilation.
Même s’il est toujours délicat de parler des absents notoires que l’on voyait ministres la veille au soir, gageons que ces personnalités, hier sous les feux de l’actualité, peuvent encore surgir de la nuit élyséenne, ne serait-ce qu’un instant, un moment, une seconde ; pendant combien de temps encore avant que leur carrière ne se termine ?
Mais rappelons-nous qu’entre marée politicienne et tsunami politique, il n’y a pas que la taille de la vague qui compte pour les petits baigneurs : c’est surtout le sens du vent qui importe !
Yves Gautrey
Article publié dans le Magazine Front Populaire le 30 Mai 2022
Excellent! 💪💪👏🏻👏🏻👏🏻
JF
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