Des crises européennes au Souverainisme !

Les crises dont souffre l’Union européenne (UE) ne font que commencer. La profonde remise en cause de son modèle de développement est engagée et une sortie par le haut de son économie semble impossible à terme. Dans ces conditions, la France pourrait s’en sortir mieux avec une bonne dose de souverainisme.

L’Europe vit un momentum exceptionnel

L’année 2020 – deux ans déjà ! – marquera le début des grands bouleversements : ralentissement économique en vue, rationnement énergétique, décroissance écologique, dettes inimaginables du Club Med européen dont la France, questionnements sur l’Allemagne, soumission de Bruxelles aux États-Unis, soubresauts géostratégiques en Asie, et réaffirmation du modèle occidental comme unique exemple à suivre. Des désordres géopolitiques sont bien sûr attendus entre ce bloc occidental — ressoudé sous la contrainte des événements et des États-Unis — face aux autres pays, à commencer par la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil, et tous les récents non-alignés, Africains notamment.

Le monde va sans doute devenir plus compliqué que précédemment, mais les moyennes puissances — dont la plasticité géopolitique est toujours aussi pertinente qu’avant Maastricht — pourraient en profiter et faire évoluer leur destin — tracé sans aucun consentement populaire — vers plus de souverainisme affirmé. Le grand balancier de l’histoire peut donc remettre en cause les acquis obtenus par la France depuis la chute de l’URSS — ils sont plutôt maigres —, mais aussi, constituer une opportunité pour remédier aux dégâts constatés dans le sillage des années Mitterrand : ils sont légion.

La parenthèse enchantée de la mondialisation heureuse — et celle d’une Europe qui nous aurait protégés depuis 60 ans, mais qui oublie cyniquement l’OTAN et les troupes américaines stationnées en Europe depuis 1945 — se referme petit à petit : à nous de profiter de cette situation troublée. Si nous sommes ce que nous pensons, alors vivons pleinement ce momentum et n’ayons plus peur des mots : assumons pleinement notre « savoir-vivre en France », afin d’éviter — est-ce encore possible ? — la grande transmutation de notre culture.

L’avenir appartient dorénavant aux opinions publiques affranchies de ces croyances nées dans la foulée des guerres mondiales. En un mot, commençons par penser par nous-mêmes. C’est-à-dire en Français.

La France s’est laissée entraîner dans l’impasse européenne

En s’enfermant dans un processus continu de fédéralisation, l’UE a — dans les faits — supprimé tout débat contradictoire interne quant à son vrai projet. En particulier, elle a su faire taire cette voix si originale que la France portait jadis au nom de tant d’autres pays muets par obligation, faiblesse ou intérêts.

Cette « élégance » d’un autre temps donnait à la France une personnalité — si ce n’est une véritable autonomie — stratégique. Elle lui a permis de posséder l’arme nucléaire, puis de construire son parc électrique nucléaire ; de bâtir une industrie d’armement, puis de développer des champions industriels mondiaux dans le domaine aéronautique, spatial, ferroviaire, construction navale, agroalimentaire, automobile, métallurgie, chimie, électronique, etc. Son modèle social — la santé, la retraite et l’éducation notamment — assurait la pertinence de l’ensemble : on travaillait en sachant pourquoi. Parce qu’elle dialoguait en toute indépendance, la France menait — dans le respect de ses objectifs économiques — une stratégie constructive avec le monde entier. La voix de la France portait, et même si sa grandeur n’était pas si haute que cela, elle était respectée.

Hélas, les petits hommes en costumes bleus et cravates noires — et inversement — ont imaginé autre chose. Dans leurs bagages arrivèrent la comptabilité bruxelloise, l’intégration normative, les arguties juridiques, l’aversion pour l’industrie, la dictature de la finance, les droits de l’individu sur le collectif, la sortie du nucléaire, et la doctrine de la concurrence totale entre Européens ; bientôt, l’assimilation fiscale européenne emportera le dernier bastion de souveraineté qui nous restait. Depuis quarante ans, toujours au nom des mêmes sentiments généreux, l’européisation de l’élite française a déformé méthodiquement l’esprit français et sapé, année après année, la quasi-totalité des fondements de la Ve République, tout en s’en réclamant à la moindre occasion. Au bout du compte, notre alignement systématique sur les intérêts de la superstructure européenne aura détruit la plupart des réussites sociales et industrielles françaises, au profit de voisins idéologiquement moins vertueux ou plus opportunistes. Le pouvoir politique a quitté Paris pour emménager à Bruxelles avec le Traité de Lisbonne de 2007.

Cependant, le temps de la « France de grand-papa » et de l’indépendance gaullienne est révolu. L’entrée en vigueur du Traité de Maastricht le 1er novembre 1993 a sonné le glas de cette période. Depuis, d’autres bourdons ont sonné : Amsterdam, Nice, Lisbonne.

La France perd chaque jour un peu plus d’influence

Pour ceux qui croient encore aux « chasses gardées » françaises, détrompez-vous : le processus d’assimilation est à l’œuvre, y compris sur les terrains de jeu traditionnels de la France.

Que penser de l’article 8 du traité d’Aix-la-Chapelle signé entre la France et l’Allemagne le 22 janvier 2019, où il est inscrit que « l’admission de la République fédérale de l’Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies est une priorité de la diplomatie franco-allemande » ? Sans doute est-ce là une façon astucieuse de Macron permettant de renforcer le rôle de la France à l’ONU ou dans l’UE ?

Les exemples de fiascos diplomatiques français se sont multipliés en Afrique au profit de la Russie ou de la Chine : Mali, Djibouti, Algérie, Centrafrique, Burkina Faso, etc. Alors qu’une politique commerciale franco-allemande avait été renforcée dans le même Traité de 2019, l’Allemagne exporte dorénavant plus que la France en Afrique. Comment ne pas voir notre diplomatie embourbée dans ces colocalisations consulaires absurdes — faites d’Ambassades françaises partagées avec l’Allemagne — à Brazzaville, Rio, Brunei, Pyongyang, Koweït, Dacca, Khartoum, ou Lagos ? Quels sont les autres pays ayant suivi cette même politique ?

Sur le plan culturel, pourquoi voit-on fleurir — à Rio, Palerme, Erbil, Bichkek, Cordoba, Atlanta, Glasgow, Minsk, Ramallah — tant de ridicules Instituts franco-allemands au nom charmant de « Kultur Ensemble » ? Est-ce la fusion de la culture germanique dans le fameux vivre ensemble à la française ? À moins que ce ne soit l’inverse ?

Que penser là aussi de cette originalité bizarre, lorsque la présidente de l’Organisation internationale de la francophonie, originaire du Rwanda — pays où la langue anglaise est obligatoire à l’école et qui a rejoint le Commonwealth en 2009 — nous dit être une « adepte du multilinguisme » (sic). À ce propos, saviez-vous qu’après le Cameroun en 1995, deux autres pays francophones ont rejoint le Commonwealth britannique le 25 juin 2022 : le Gabon et le Togo. Et qu’aucun Sommet de la francophonie ne s’est plus jamais tenu en France depuis 31 ans (Paris, novembre 1991) ?

Oui, même le rêve gaullien de l’influence onusienne, diplomatique et culturelle de la France dans le monde — ce dont tout le monde se gargarisait il y a encore quarante ans — se meurt inexorablement.

Avouons que le carcan juridique international est d’une taille monstrueuse.

Comment penser par nous-mêmes lorsque nous sommes en permanence sous le regard inquisiteur d’organisations supranationales que nos dirigeants ont contribué à créer ?

On a tous en mémoire l’hypocrisie progressiste du Conseil onusien des droits de l’Homme sur les migrations, la supériorité abusive du droit européen sur tous les droits nationaux des États membres, l’idéologisation — pour ne pas dire l’entrisme wokiste et décolonialiste — de certains articles de la Convention des Droits de l’Homme. Il s’agit là de réalités sur lesquelles, les mouvements souverainistes français ne pourront pas revenir si simplement, sauf à dénoncer notre participation à ces organisations. Prenons par exemple ce petit Prix franco-allemand des droits de l’homme et de l’état de droit, décerné chaque année, et qui, traduit en Allemand, se rebaptise « Prix germano-français » : qui tentera un jour de le dénoncer ?

Engluée dans ces Traités internationaux, pourquoi l’UE n’apporte-t-elle aucune proposition européenne forte afin de mettre fin à la guerre en Ukraine ? Qui risquera de remettre en cause le parapluie militaire otanien, bras armé du sordide mercantilisme des États-Unis ? Ou, qui dénoncera diplomatiquement l’extraordinaire iniquité de l’extraterritorialité du droit américain appliquée aux pays tiers, entreprises et particuliers tous confondus. Qui peut vraiment croire qu’un monde multipolaire reviendra une fois la paix revenue en Europe ? Qui imagine dorénavant une indépendance de l’UE sans le biberonnage énergétique, numérique et militaire des États-Unis ? Qui peut prévoir un jour une main bruxelloise tendue loyalement à la Chine — ce qui risquerait de favoriser le commerce sino-européen — sans l’accord du grand frère washingtonien ?

Dans cet inventaire à la Prévert, n’oublions pas — bourdonnant sans cesse autour des instances européennes — l’incroyable pouvoir de pression (le fameux soft power) de ces 37 000 activistes professionnels (les « lobbyistes ») enregistrés à Bruxelles, débitant tous les jours leur propagande culturelle, sociétale, sanitaire, éducationnelle, numérique, écologique, atlantiste, juridique, politique, et droits-de-l’hommiste. Mais, au bout du compte, qui tirent vraiment les ficelles de l’UE : les Américains ou les Européens ? La réponse est bien sûr dans la question.

Nul ne pense bien sûr — mais tout le monde l’envisage quand même un peu — que cette situation signe un jour une quelconque réorganisation du commerce mondial ; ni même la fin de la miscibilité volontaire des cultures ; et encore moins, l’arrêt de la conquête du Nord, apostat et riche, menée par le Sud, croyant et guerrier.

Non, tout ceci ne s’arrêtera pas demain d’un coup de baguette magique, même d’inspiration souverainiste : il faudra jouer finement. Très finement.

Quelqu’un devra pourtant répondre un jour à toutes ces questions…

En définitive, nous vivons un énième épisode de l’évolution mondiale : rien de nouveau donc. Cependant, et c’est inédit, un scénario bien différent des précédents s’ouvre pour l’Europe : elle sera, à n’en pas douter, la grande perdante de cette période. Les nations de la vieille Europe sont tellement imbriquées dans des logiques géopolitiques et économiques — sans maîtrise aucune de la part du faux deus ex machina qu’est l’UE —, qu’elles vont finir par y perdre leur âme, et avec elle, les peuples européens. La France de Macron presse même le pas, en pleine contradiction avec le peuple et son histoire. À moins qu’elle ne se décide à jouer habilement sa carte, la France se perdra donc aussi.

Mais au-delà de cette impuissance européenne tous azimuts, il n’y aura bientôt plus qu’une seule question à laquelle les souverainistes devront répondre : puisqu’en Europe — et non aux États-Unis — c’est dorénavant « open bar » pour tous, que signifiera concrètement pour nous, Français et Européens, cette notion d’espace culturel repensé (évitons l’horrible expression « d’espace vital ») — et à leur façon — par les migrants d’Afrique, du Proche et Moyen-Orient ; et demain, pourquoi pas de Chine ou d’ailleurs ? Sous peine de se voir systématiquement « mariniser » avant chaque élection, les souverainistes devront y répondre de telle sorte qu’ils ne soient pas rangés dans la case « droite extrême », car les éternels étiqueteurs politiques professionnels ne rateront pas une si belle occasion : adeptes fervents du trop fameux concept mitterrandien, ils veillent jalousement sur le bon vieil épouvantail à moineaux électoral. La conquête du pouvoir passe par des concepts bien entendu ; mais aussi et surtout par des mots qui rassemblent 2 Français sur 3.

À la faveur de ces crises économiques, nous pourrions reprendre un peu – beaucoup ou pas du tout ? – de notre souveraineté volée. Seules conditions : élaborer une vision stratégique et se préparer à la mettre en œuvre d’une façon posée, mais ferme. Si ces conditions sont remplies, l’idée d’un « souverainisme à la française » pour 2027 n’est plus à exclure, notamment en vue d’une souveraineté industrielle 3.0 et bientôt 4.0 : elle nous sauvera de l’ornière européenne.

Et si, en plus d’un projet fédérateur, les souverainistes sont capables de toujours respecter le bon vieux principe de « non-ingérence chez autrui, tant que la France n’est pas, de près ou de loin, menacée dans ses intérêts fondamentaux », alors nous pourrons envisager sérieusement de reparler au monde entier, d’une certaine hauteur retrouvée, mais jamais en donnant des leçons comme le font par réflexe, Bernard-Henri Lévy, Élisabeth Borne ou Jean-Luc Mélenchon, mais surtout Emmanuel Macron.

Yves Gautrey

Article paru dans le magazine Front Populaire du 12 septembre 2022.

https://frontpopulaire.fr/international/contents/des-crises-europeennes-au-souverainisme_co14175030

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