Réindustrialisation : l’industrie 4.0 et 5.0, une chance exceptionnelle pour la France (partie 2 sur 3)

L’industrie 3.0 basée sur l’automatisation est déjà dépassée par les nouveaux modèles d’industrie 4.0 et 5.0. Ils sont une chance pour réindustrialiser la France. Mais pourquoi ne faut-il pas rater cette révolution industrielle ?

Quand on parle d’industrie, tout le monde connaît le sujet. Ou pas. Selon Bercy, « l’industrie rassemble les activités économiques dédiées à la conception, la fabrication et la vente de biens matériels. Elle fait intervenir de nombreux acteurs pour transformer des matières premières en biens de consommation ». L’INSEE précise que ces activités économiques « combinent des facteurs de production (installations, approvisionnements, travail, savoir) pour produire des biens matériels destinés au marché ». Si l’industrie combine effectivement tous ces moyens tangibles et intangibles, il faut souligner l’incroyable apport de tous les services associés à l’industrie, notamment ceux issus du numérique. Ils assurent le haut degré d’usage des moyens de production : sans eux, nous n’aurions aucune capacité à produire selon les critères exigeants de demain.

Avant-hier, la première révolution industrielle faisait référence à l’invention de la vapeur et à la mécanisation primaire de la production. Aujourd’hui, certains pensent encore — suivez mon regard — à la 2e révolution industrielle, celle apportée par la fée électricité, à la production de masse sur des lignes d’assemblage crasseuses ; celle aussi des cols bleus râpés et des casse-croutes du petit matin partagés entre copains. Dans les années quatre-vingt, l’industrie française fit, à petite vitesse, sa 3e révolution : celle de l’industrie 3.0.

Nous vivons au quotidien dans le monde de l’industrie 3.0 depuis une quarantaine d’années.

Ce modèle se caractérise principalement par l’automatisation progressive des processus industriels et des fonctions générales de l’entreprise.

Au plan productif, ce furent d’abord les machines de production programmables —, ces machines-outils à commande numérique, les fameux CNC (Computer Numerical Control), qui gèrent numériquement tous les mouvements d’une machine-outil : usinage, fraisage, ou changement d’outils par exemple. Puis, avec l’arrivée des robots industriels simples — Automate programmable industriel, les vieux PLC (Programmable Logic Controller), les lignes de montage et de manutention furent bouleversées : l’automatisation systématique de tous les processus industriels permit de franchir un cap en termes de qualité et quantités.

Cette robotisation de la production améliora à l’évidence notre compétitivité-coût globale ; mais si elle abaisse exponentiellement les coûts fixes de production via le calcul des coûts marginaux et des volumes produits, elle garantit surtout la reproductibilité de la qualité-produit visée et optimise qualitativement l’environnement de travail.

Dans le même temps, les fonctions techniques de supports à la production se développèrent graduellement via la numérisation des tâches manuelles, notamment celles des Bureaux d’Études ou des services de planification, approvisionnements, expéditions par exemple : la Conception assistée par ordinateur (la CAO), ou la gestion de production (la GPAO) furent à cet égard une révolution pour de nombreux cols blancs. Puis, vint l’intégration numérique des autres grandes fonctions d’entreprise, celles occupées par l’encadrement. C’était le début des ERP (Enterprise Resource Planning), ces progiciels intégrant l’ensemble des processus opérationnels des onctions de gestion de l’entreprise : comptabilité, achats, stocks, paies, finances, projets, risques, conformité, supply chain, etc., et bien entendu le e-commerce et les fonctions BtoB et BtoC. Bien entendu, tous les logiciels de l’entreprise furent mis en réseau et communiquèrent entre eux. L’optimisation des performances de toutes les fonctions de l’entreprise mondialisée est devenue un impératif. Débarquèrent au même moment, les PLM (Product Lifecycle Management), c’est-à-dire la gestion totale du cycle de vie d’un produit dans la supply chain (gestion de la chaîne logistique), y compris mondialisée, depuis sa conception jusqu’à son recyclage définitif ; et auxquels se greffèrent les EPM (Enterprise performance management) et toutes les autres fonctions associées bien évidemment à la conduite des interfaces de la relation client, les dorénavant classiques CRM (Customer Relationship Management).

Plus généralement, cette évolution technologique, cette montée en gamme de la Tech, tant pour les productions que pour les fonctions supports ou de gestion, ont d’un côté, permis l’élaboration en masse de produits non seulement plus qualitatifs, mais aussi plus évolutifs en termes de caractéristiques ; et de l’autre, cette évolution a complété la connaissance précise de la performance globale de l’entreprise.

Depuis une vingtaine d’années, ces deux grands leviers engendrèrent une capacité XXL pour créer, entreprendre, croître et décider autrement, dans un univers industriel mondialisé. Un avantage concurrentiel déterminant aujourd’hui.

La France était bien partie, mais hélas, elle n’a pas suffisamment intégré le modèle 3.0

En France, le mouvement vers une automatisation généralisée fut ralenti en raison des craintes d’un chômage massif, de l’idéologisation de l’outil de travail, de la taxation du capital pourtant nécessaire à la création de valeur. Ou, plus simplement par ignorance. L’époque baignait dans l’intellectualisme à deux sous, toisant de haut le travail manuel, les métiers techniques et les entreprises industrielles ; c’est l’époque du ministre du Temps libre — d’André Henry, un ancien instituteur et syndicaliste devenu symbole vivant de la pauvreté de notre réflexion globale, alors que l’industrie mondiale s’automatisait en s’ouvrant aux vents du grand large.

L’apogée des grands groupes industriels français tourna au désastre au début des années quatre-vingt. Certains groupes sombrèrent dans les nationalisations voulues par François Mitterrand ; d’autres, réussirent à se sortir de la doxa édictée par l’Union européenne, ou l’Organisation Mondiale du Commerce, impulsée par son Directeur général, l’européiste Pascal Lamy, au milieu des années 2000. Bref, mis à part quelques magnifiques exceptions comme Michelin, Thalès, Total, Dassault, Renault-Nissan, etc., qui acceptèrent la règle du jeu de la mondialisation, les autres groupes industriels ont été soit cédés, soit dépecés, soit réduits à la portion congrue. D’autres groupes se sont créés bien entendu, mais globalement, nous avons raté cette 3e révolution industrielle.

Et pourtant, des pays comme l’Allemagne ont su prendre le virage industriel 3.0, même si cela fut un peu tardif : les lois Schroeder et des décisions brutales lui permirent de reprendre en main son destin au début des années 2000. Ce que jamais la France n’a entrepris.

Quelques chiffres pour mesurer notre retard dans l’automatisation des processes

En nombre de robots pour 10.000 employés dans l’industrie, la France se classe en 2020, à la 10e position mondiale. Avec 194 robots pour 10.000 employés dans l’industrie, la France est même dépassée par l’Italie (224), l’Espagne (203) ou la Belgique (221). Les chiffres sont d’ailleurs tout aussi catastrophiques dans la zone euro, sauf en Allemagne qui, avec 371 robots pour 10 000 employés, fait figure d’exception raisonnable. Pendant ce temps, le reste du monde progressait, notamment la Corée du Sud : 932 robots ; le Japon : 390 ; les États-Unis : 255 ; ou la Chine : 246… Et chose plus remarquable encore, est l’état de notre parc de machines productives : entre 2012 et 2020, la moyenne d’âge de nos équipements s’est juste améliorée de 19 à… 17 ans !

Nous sommes collectivement responsables de notre retard : dirigeants, syndicats, dérapage des dépenses publiques et sociales, impôt sur la fortune, horreur des dividendes, exilés fiscaux, prélèvements obligatoires, ouverture à l’Europe et au commerce mondial, que sais-je encore… toutes les raisons seraient intéressantes à développer, mais peu importe. Il s’agit d’un passé qui ne reviendra pas en France. Car aujourd’hui, parler de réindustrialisation en se contentant de vouloir transférer des machines, recruter des bras, et produire comme on le faisait il y a trente ans paraît dérisoire ; de même le localisme industriel et ses prix de revient exorbitants.

L’heure est aujourd’hui à l’industrie 4.0

Pour résumer, nous sommes dans l’ère de l’industrie totalement connectée qui accélère l’automatisation des processus industriels de la révolution précédente. Cette nouvelle industrie 4.0 se développe intensivement, notamment par l’intégration des capteurs introduits en masse dans tous les points de l’entreprise : la machine est devenue intelligente avec le ML (Machine Learning). Elle s’est alliée à l’Intelligence artificielle et à l’automatisation robotisée des processus industriels comme le RPA (robotic process automation) : la main de l’homme intervient de moins en moins sur les chaînes de production, où les cobots (robots collaboratifs) assistent quotidiennement les opérateurs. Si l’homme intervient encore dans la programmation des outils robotisés, de nouvelles machines se reprogramment dorénavant toutes seules.

Bientôt, la généralisation de la blockchain (transmission d’informations et alimentation en continu des bases de données, partagées de façon sécurisée et simultanée avec tous ses utilisateurs) décidera sans intervention d’un organe centralisateur…

Les métiers de techniciens, ingénieurs et directions de production évolueront certainement vers un domaine de compétences encore plus vaste : la gestion d’entités d’inspiration totalement mécatronique, basée sur l’Intelligence artificielle. Il faudra non seulement numériser les processus industriels et fonctions supports de l’industrie à venir, mais surtout penser déjà à la suite qui sera encore plus révolutionnaire.

La révolution industrielle mondiale n’est pas finie : une autre, la 5.0, autrement plus disruptive et prometteuse à la fois, annonce des usines autonomes, beaucoup plus flexibles et totalement communicantes.

L’industrie 5.0 va co-concevoir le produit selon nos désirs et nos valeurs

L’industrie 5.0 utilise les mêmes processes et outils de production que l’industrie 4.0, en les poussant jusqu’au maximum de leurs possibilités technologiques. Mais en plus, elle conçoit ses produits à l’aide d’informations externes : par exemple, le type de consommateurs, leur localisation et ses habitudes, les perspectives du milieu marchand, les tendances sociétales, les impacts environnementaux, énergétiques ou sociaux, et bien sûr, la taille prospective, évolutive et résiliente des marchés visés, qu’ils soient proches, lointains ou de niches. Grâce à la 5G, et notamment grâce à sa capacité et vitesse de transmission des données, le nouvel or bleu des entreprises, le big data, est une réalité.

Le Big data constitue déjà un formidable vecteur de développement dont les perspectives sont pour l’instant incommensurables ; même si, non, la 5G ne sert pas qu’à regarder des « vidéos pornos en HD dans l’ascenseur » comme le dénonçait Eric Piolle en juillet 2020. L’objectif est bien de produire en masse des biens d’excellence, de plus en plus performants, à des coûts plus compétitifs, et selon des critères écologiques, humains ou sociétaux exigeants.

L’industrie 5.0, parce qu’elle se place constamment dans une démarche du futur notamment quant à la recherche et au développement technologique, cantonnera de plus en plus ses partenaires industriels traditionnels de type 3.0 au rôle de simples sous-traitants. De fait, l’évolution en marche de l’industrie 5.0 offre des perspectives bien plus rémunératrices que les productions de conception 3.0.

Nous entrons dans l’ère des concepteurs, producteurs, marketers, livreurs…

Progressivement, nous assistons à la fin du travail en usine telle que pensé, décrit et défendu depuis la 1ère révolution industrielle : la fin des ouvriers spécialisés, manutentionnaires, caristes, techniciens de surface, gardiens, etc. n’est plus qu’une question de temps ; celle aussi des syndicats rétro et partis politiques poussiéreux. Ce sera sans regret ni nostalgie.

Par capillarité, même les artisans, restaurateurs et autres petites entreprises doivent réfléchir à cette évolution inéluctable ; un exemple ? Pourquoi encore sous-payé à faire la plonge de pauvres bougres venus d’ailleurs, quand un robot intelligent peut le faire plus efficacement et générer des emplois ultra-qualifiés lors de sa conception ? Dorénavant, y compris pour toutes ces TPE/TPI, mieux rémunérer l’intelligence de la main et produire avec un objectif de qualité est devenu une vraie banalité stratégique.

De nouveaux métiers sont apparus : robotique, mécatronique, numérique, cobotique, logistique, objets connectés, impression 3D, etc. De nouveaux métiers émergent aussi : Cloud computing, informatique quantique, Intelligence artificielle, activités cyber, etc. Le champ des applicatifs est immense : équipements productifs, chaines de valeurs, prospective des tendances, interfaçage des fonctions, réalité virtuelle, formations, sécurité, environnement, etc.

Plus nous avancerons dans la réalité 5.0, plus le retour d’investissement sera massif, et donc plus nous aurons les moyens de réinvestir systématiquement, afin de creuser l’écart avec nos concurrents directs restés en arrière. La France court clairement ce nouveau risque de déclassement : seules 14 % des entreprises ont partiellement déployé une solution numérique dans leurs activités et seulement 2 % l’ont totalement déployée… Or, cette révolution 5.0 a commencé depuis une petite dizaine d’années dans les pays industriellement très avancés : États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, et surtout Corée, Chine, et Taiwan.

Une belle surprise se déverse actuellement sur l’industrie mondialisée : les révolutions industrielles 4.0 et 5.0, qui nous permettront, peut-être, de recouvrer une bonne partie de notre souveraineté nationale, d’assurer le retour d’un plein emploi de qualité et d’améliorer sensiblement le niveau moyen des Français.

Mais à coup de slogans, dizaines de milliards d’euros, et conseils de Cabinets anglo-saxons, Emmanuel Macron et Bruno Le Maire nous expliquent qu’ils réindustrialisent la France, mais sans nous expliquer loyalement le très long chemin qu’il nous faudra parcourir ni prendre les décisions à la hauteur de l’enjeu : savez-vous par exemple qu’il nous faudrait former 40 000 ingénieurs supplémentaires par an, soit un doublement ? En laissant la France se transformer — au mieux —, en sous-traitant 3.0 pour pays riches et dominateurs (voir article précédent sur la réindustrialisation), on se demande même s’ils n’ont pas déjà baissé les bras. À la réalité, ils n’opposent que des leurres.

Les solutions industrielles sont pourtant à notre portée, mais il nous faut agir vite. Nous verrons dans le prochain article que, sous certaines conditions, de vraies pistes et solutions existent pour réussir notre révolution industrielle 5.0.

Yves Gautrey

Article paru dans le magazine Front Populaire le 9 novembre 2022. https://frontpopulaire.fr/opinions/contents/reindustrialisation-lindustrie-4-0-et-5-0-une-chance-exceptionnelle-pour-la_tco_16381563

Votre commentaire

Choisissez une méthode de connexion pour poster votre commentaire:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s