Taxe carbone européenne : le désastre industriel annoncé (partie 3 sur 4)

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Mi-décembre 2022, la Commission de Bruxelles, le Parlement et les représentants des États membres de l’UE se réjouissent de l’adoption de la taxe carbone aux frontières. Un évènement passé presque inaperçu en France, et pourtant particulièrement destructeur pour l’industrie européenne.

Après le décodage général de la nouvelle taxe carbone, voici un exemple concret de son impact sur la réindustrialisation de la France. Une dernière partie montrera qu’il y avait des solutions moins destructrices de valeurs pour les entreprises françaises que cet accord technocratique.

Nous connaissions la gourmandise des initiés bruxellois pour leurs montages technocratiques tel le marché européen de l’électricité, qui — mis entre les mains de quelques traders de kWh — conduit à l’asphyxie de l’industrie et de l’artisanat. Ou encore, l’absurde interdiction, à l’horizon 2035, des moteurs thermiques en Europe au profit d’importations de voitures et batteries électriques chinoises (et bientôt américaines). Alors, toujours sous l’influence grandissante de notre chère amie l’Allemagne, nous venons de comprendre que la taxe carbone sera LE prochain grand désastre pour l’économie productive européenne. Voyons comment.

Conséquences pratiques du « Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières »

Pour mieux comprendre le bouleversement prévisible, prenons l’exemple d’un Groupe industriel français, leader mondial sur son marché de biens d’équipement.

Il souhaite fermer son usine N° 3 à Shanghai devenue quasi obsolète, notamment en raison des émissions de CO2 et en conséquence, rapatrier une partie de sa production à… Clermont-Ferrand. Compte tenu de la taille des investissements « verts » à prévoir pour s’installer en Auvergne, du nombre de recrutements et des formations à réaliser localement, la décision d’investissement se place d’entrée de jeu dans le temps long. Le projet est novateur, et heureusement, ne semble pas trop risqué, car un premier pilote industriel a déjà été installé dans la banlieue de Roubaix : basée sur une nouvelle technologie de décarbonation, cette petite filiale est devenue une vitrine technologique. Et même si ses coûts de production sont bien plus élevés qu’à Shanghai en raison des taxes et impôts de production notamment, elle s’en sort plutôt bien sur le plan rentabilité grâce à une parfaite maîtrise de sa chaîne de valeurs.

Malheureusement, le jeune ingénieur et responsable du projet de relocalisation — écolo à ses heures comme vous et moi — indique dans son pré-rapport de faisabilité industrielle que pour « stimuler et accélérer les investissements bas carbone en Europe », l’UE va bientôt supprimer tous les quotas d’émission de CO2 gratuits ; ceux-là mêmes dont bénéficiait jusqu’à présent, cette petite filiale roubaisienne de type 3.0 complètement robotisée. Croyant bien faire et ne se doutant pas des conséquences, le jeune responsable de projet souligne même que « la taxe carbone aux frontières de l’UE est un impératif écologique pour la planète ». Alerté par « on-ne-sait-qui », le Directeur industriel creuse incognito le sujet Écologie du projet. Il découvre — qu’en raison de la nouvelle taxe carbone aux frontières votée l’an dernier à Bruxelles — sa belle initiative patriote va subir des cascades de coûts de production de plus en plus difficiles à contrôler. En effet, dès octobre 2023, les matières premières essentielles — acier, aluminium, vis, et boulons par exemple — seront taxées aux frontières de l’UE. Ses sous-traitants européens habituels seront impactés pour leurs approvisionnements hors UE, et bien entendu répercuteront ces surcoûts dans les produits semi-finis qu’approvisionne le groupe.

Le directeur industriel est aussi très étonné d’apprendre que l’hydrogène importé sera lui aussi taxé aux frontières. Pas de chance, ce gaz devait servir en production aux frittages et traitements thermiques des pièces moulées de haute précision, prévues dans la nouvelle usine de Clermont-Ferrand. Pour rentabiliser l’investissement projeté, le directeur industriel avait aussi prévu d’alimenter en hydrogène les flottes captives de chariots élévateurs et de véhicules de transport du site industriel. Conçu comme un site 4.0, c’est-à-dire totalement robotisé et très autonome par rapport aux autres usines du Groupe, le directeur industriel espérait en faire un exemple d’usine propre. D’ailleurs, dans le cadre du plan d’investissement qu’il allait bientôt présenter, il concoctait un autre projet autrement plus ambitieux : remplacer les classiques chauffages électriques des 9 usines européennes, par un chauffage à pile à combustible basé sur un processus chimique de division de l’hydrogène ; chauffer l’air tout en produisant de l’eau et de l’électricité, quoi de plus écologique ? Une récente application allemande inspirée de solutions déjà éprouvées depuis dix ans aux États-Unis l’avait convaincu.

Consultés par le directeur des achats du groupe, les sous-traitants en produits semi-finis, allemands et italiens, confirmèrent la triste nouvelle. Ils ajoutèrent qu’à l’inverse des industries européennes soumises au SEQE (Système d’échange des quotas d’émission), leurs concurrents directs non européens ne seront taxés ni sur la part de matière première utilisée ni sur leurs produits semi-finis ni même sur leur réelle empreinte carbone dans leur pays d’origine ; du moins dans un premier temps. Ils ont crié au scandale depuis six mois, mais en vain. La veille, les milieux patronaux locaux leur avaient indiqué que seuls les importateurs de matières premières seraient “taxés ; et encore, juste sur la base de simples déclarations volontaires. Peu rassurés, les deux sous-traitants assurèrent discrètement au Directeur des Achats qu’ils avaient de toutes les façons la « réponse-coûts » : ils prévoyaient de se délocaliser d’ici deux ans en Turquie et au Maroc, là où sont déjà installés leurs concurrents directs, d’origine britannique et allemande. Du fait de ces menaces normatives et des taxes, que font peser les écologistes en UE, le mouvement de délocalisation ne s’arrêtera plus pour tous ces sous-traitants industriels.

Mise au courant par un courriel envoyé en copie cachée par le directeur industriel, la Directrice de la Stratégie demande alors à son collègue, le General Counsel Group, une expertise juridique complète du projet d’implantation industrielle à Clermont-Ferrand. Le plan com’ du maire de Clermont — et copain du directeur général — tombe donc à l’eau ; et avec lui, les sirènes nationales et autres petites subventions locales : adieu la médaille du Mérite et son petit ruban bleu, promise mezza voce au DG par un obscur haut fonctionnaire de la place Beauvau. Déjà mécontente de la précédente décision prise unilatéralement par le Directeur général en faveur de l’usine de Roubaix, elle décide une semaine plus tard d’alerter aussi sec tout l’Executive Committee que le grand projet de réindustrialisation du site de Clermont-Ferrand risquait bien d’achopper pour des questions de normes et taxes écologiques européennes.

Très actif, le General Counsel du Groupe avait déjà prévenu le Président en sous-main. Au Comex suivant, tout frétillant, il confirme la mauvaise nouvelle : l’UE, sous pression des écolocrates, allait progressivement appliquer la nouvelle taxe carbone à l’importation pour tous les produits industriels transformés. L’ensemble des filiales industrielles du Groupe, présentes ou à venir en Europe, seront touchées par ces hausses de coûts. Pour taquiner la directrice de la stratégie, il poursuivit sa petite diatribe : « La taxe carbone va donc gangrener de proche en proche tout le tissu industriel français, y compris nos sous-traitants. Étant donné la forte dépendance de l’Europe aux importations d’énergie et produits industriels de toutes natures, il est à craindre que la hausse de ces surcoûts ne se répercute très vite dans nos coûts directs de production. Et donc sur notre compétitivité à l’exportation. Nous avons donc un vrai problème stratégique sur la table ! » Le directeur financier se crut très malin en mettant son grain de sel : « La poursuite de l’inflation importée sera inévitable : elle pèsera par conséquent sur le niveau de la masse salariale de nos activités européennes et in fine, sur notre rentabilité globale. » Bien entendu, le directeur RSE du groupe (Responsabilité sociétale des Entreprises et du développement durable) a tenté une sortie pour défendre ce nouveau Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières. Mais aux regards désabusés des uns et des autres, il a bien senti qu’il n’avait convaincu personne et qu’il fallait choisir d’autres batailles pour se faire mousser auprès du directeur général.

Ne voulant pas rester muet sur son projet, le directeur industriel intervint, enfonçant un peu plus le clou du catastrophisme ambiant : « Bien entendu, la suppression des quotas carbone dont nous aurions pu bénéficier était depuis longtemps dans la ligne de mire des écologistes. Toutes les subventions à l’exportation, accordées en raison de nos investissements “verts” seront prochainement terminées. » Le brillant General Counsel reprit la parole, en coupant in extremis celle du directeur marketing. Il recommanda au Comex de surseoir à l’implantation industrielle de Clermont-Ferrand. Il faudrait selon lui plutôt réinvestir ce qui pouvait l’être encore, dans les autres filiales des pays tiers, notamment celle de Shanghai, dont la décision de fermeture devait être reportée sine die. Après tout, la Chine restait assez prévisible quant à sa politique environnementale. Le directeur général acquiesça en silence : il venait quant à lui de prendre la décision d’accepter le poste de PDG d’un groupe industriel suisse, où il se sentirait plus à l’aise pour assurer l’avenir industriel de la société qu’il allait diriger d’ici quatre mois. La directrice de la Stratégie ne pipa mot durant tout le Comex : la note de synthèse qu’elle avait remise au président la veille, expliquait parfaitement la situation d’ensemble et les solutions stratégiques alternatives.

Le président écouta en silence tout son petit monde et, bien sûr, ne n’annonça aucune décision. Il demanda juste au directeur Financier, une étude d’impact de la taxe carbone européenne pour le Groupe ; puis, se tournant vers le directeur M&A (fusions & acquisitions), il lui confirma son accord pour le rendez-vous sollicité par un fonds de pension de Chicago susceptible de leur vendre un de leurs concurrents américains.

Imaginez maintenant que cette entreprise soit un groupe industriel singapourien ou canadien avec de multiples sites de production dans le monde : selon vous, quels seront ses arbitrages ? La réponse est simple : relocalisation massive là où les coûts seront encore acceptables dans les dix années à venir. Décision simple et énergique, devant le tsunami que nous préparent les « écolocrates et eurocrates associés ». Ajoutez à cela les coûts exorbitants de l’énergie en Europe et l’accélération des contrôles soi-disant « verts », et vous comprenez immédiatement pourquoi les « fuites carbone » seront inévitables : automobile verte, composants électroniques, petits équipements de consommation courante, etc.

Notons enfin que ce sont les industries de transformation qui créent la vraie valeur ajoutée, en l’occurrence les petits ou grands sous-traitants européens, et les millions de PMI/PME européennes. Remarquez, ça tombe bien : on avait compris depuis longtemps que les écolocrates ne voulaient plus d’industrie en Europe, tout en se fichant complètement de la viabilité de leur modèle économique. In fine, n’auront d’avenir en Europe, que les industries 4.0 ou 5.0 : une révolution (voir articles précédents sur le sujet).

À long terme, les industriels ont bien compris que le très mauvais « signal prix » donné par le MACF à toute l’industrie européenne : nous aurions pu faire autrement. Ce sera l’objet de la dernière partie.

Yves Gautrey

Article paru dans le magazine de Michel Onfray, Front Populaire, le 26 Janvier 2023

Voir Partie 4 ici.

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